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avec la religion, elle se préoccupe à ses côtés et comme elle des lois générales. Elle cherche le genre dans l’espèce, et l’universel dans le genre.

Tous les fragmens de cette aspiration, qui est partout, sont-ils enfin parvenus à se rejoindre ? S’est-il trouvé un homme pour les dégager du milieu des souvenirs et des routines auxquels ils étaient mêlés comme des étrangers ? Je ne réclame pas positivement pour M. Browning l’honneur d’avoir fait une nation de tous les Juifs perdus au sein des nations. Il est certain d’abord qu’ils ne se réuniront jamais tous, et je pense ensuite que M. Browning, après avoir tâché de les rapprocher quand il était encore trop jeune, s’est abstenu quand il eût pu davantage ; mais il a prouvé qu’il possédait plus que personne les longs bras qu’exige une pareille entreprise. Ce qu’il a produit est déjà beaucoup, et les capacités chez lui sont bien au-dessus des œuvres. De, quoi qu’il parle, il en parle comme un esprit qui peut ce qui était resté à peu près impossible pendant des siècles. L’ame antique (et je le soupçonnerais de l’avoir symbolisée dans Aprile, l’un des personnages de son Paracelse) voyait les objets isolément, comme des formes et des apparences ; pour elle, les sons confus et entrecroisés que la nature envoie vers l’homme ne s’étaient guère définis que sous le rapport de leur action sur l’oreille ; elle s’était bornée à distinguer des articulations et des syllabes. Par-dessus toute autre, la poésie de M. Browning est celle d’une nouvelle espèce humaine, qui peut maintenant distinguer des mots et construire des phrases. Il a le genre de vue dont le propre est de reconnaître partout, non plus seulement des formes et des faits, mais des enchaînemens et des opérations. La puissance qu’il possède pour saisir les rapports s’est déjà rencontrée chez plus d’un penseur, cela est certain ; mais il est un des premiers, sinon le premier, chez qui elle ait atteint un pareil développement sans devenir la faculté dominante, celle qui met les autres à son service. — Si forte qu’elle fût, elle a trouvé dans son imagination une autre faculté encore plus forte qui l’a forcée à travailler comme son apprêteuse et sa servante. C’est là la véritable originalité de M. Browning. Tâchons de la surprendre à l’œuvre.

Pour cela, c’est à Paracelse qu’il nous faut revenir. L’oeuvre est déjà ancienne : elle date de 1835 ; mais heureusement M. Browning lui a récemment donné une nouvelle actualité en la republiant avec des corrections. La première édition nous apprend où il en était il a seize ans ; les corrections nous indiquent où il en est maintenant : elles sont donc comme des flèches géographiques, qui marquent le sens du courant.

Paracelse, malgré sa forme dramatique, n’est pas un drame, mais une suite de conversations et de monologues. Quoique M. Browning