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jeter derrière le pan de lierre fut pour le cavalier l’affaire d’un instant. Cependant, à peine fut-il dans la grotte, que Berrendo se repentit presque d’y avoir cherche asile. Des bruits terribles et inexplicables grondaient dans l’intérieur du souterrain. Au-delà du rayon de lumière que laissait filtrer le feuillage du lierre, une obscurité profond, étendait devant ses pas un voile impénétrable. Il lui semblait entendre au sein de ces ténèbres épaisses des frôlemens sourds comme ceux de l’aile des grands vampires de certaines forêts du Mexique, ou le bruit saccadé du souffle puissant de quelque gigantesque animal. Placé ainsi entre deux dangers, le cavalier resta immobile et plein d’angoisse, attendant avec une bien vive impatience le moment où il pourrait quitter la caverne.

Ce moment devait malheureusement se prolonger bien au-delà de ses prévisions. Les lanciers espagnols avaient fait halte près du chêne, et le cavalier entendait le bruit de leurs voix se mêler aux rumeurs étranges du souterrain. C’était pour lui comme une double menace qui ne lui permettait ni de s’avancer dans la grotte, ni d’en sortir. Une heure d’une longueur mortelle se passa ainsi, quand l’insurgé crut entendre un rugissement rauque qui l’effraya si fort, que, préférant l’ennemi de chair et d’os aux hôtes terribles que semblait renfermer la grotte, il s’élança au dehors. Le chemin était libre, et Berrendo put reprendre sa route. En moins de deux heures, il atteignit Pucuaro, et ce ne fut qu’alors qu’il crut pouvoir respirer plus librement ; mais il comptait sans une nouvelle rencontre.

En traversant la rue principale de Pucuaro pour gagner le meson qui devait le recevoir ; le guerrillero avisa, sur le seuil d’une petite maison isolée des autres par de grands jardins, une jeune fille assis sur une natte, les jambes croisées à la mode mexicaine, et occupée à rouler des cigarettes. Sa tête, l’ovale gracieux de son visage, ainsi que ses épaules, étaient soigneusement tapados, c’est-à-dire enveloppes d’un voile de coton à raies bleues sur fond blanc. La jeune fille avait jeté sur le cavalier un rapide regard dont celui-ci ne s’était pas aperçu, et, quand il se mit à la considérer lui-même, elle tenait les yeux baissés. Le cavalier ne put distinguer que deux bandeaux de cheveux noirs arrondis sur un front lisse et poli comme l’ivoire. Des plis de la robe sortaient deux petits pieds sans bas et chaussés de satin noir, et le rebozo de la jeune fille laissait passer deux mains mignonnes et blanches dont les doigts agiles et déliés roulaient des cigarettes avec une dextérité pleine de grace.

— Par la mère des anges ! se dit le jeune homme, il me semble que j’ai mille choses à dire à cette jolie fille.

Et comme la timidité ne paraissait pas être le défaut capital du cavalier, il mit courtoisement son feutre à la main et fit sonner contre