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— Lequel ? demanda le barbier.

Berrendo désigna du doigt la longue rapière à garde d’argent, curieusement travaillée, dépouille opime d’un champ de bataille, qu’il avait jetée sur une chaise.

— Ah ! seigneur, dit le barbier, tout en mettant la rapière de côté, je vous aurais volontiers prêté, sans gage aucun, cette mandoline, qui a pour moi du reste une valeur inestimable.

Berrendo prit l’instrument, le cacha sous les plis de son manteau, et quitta la boutique du barbier en promettant de repasser le lendemain.


II. – LA CAVERSNE DE PUCCARO.

Ce soir-là même, il était environ dix heures ; toute la petite ville de Puccuaro dormait, à quelques rares exceptions près, et entre autres à l’exception de la jeune et belle faiseuse de cigarettes et de sa mère : leur porte était fermée, ainsi que les contrevens de leur fenêtre derrière le grillage de bois, et les deux femmes se tenaient dans une des chambres de leur maison qui donnait sur un vaste jardin, planté de grenadiers et de pimens rouges et verts. Il était facile de pénétrer dans ce jardin par une haie de cactus vierges, qui s’étendait de chaque côté du petit bâtiment sur la rue.

En l’absence du chef de la famille, le mari de la vieille femme et le père de la jeune fille, qui servait la cause de l’insurrection sous le général Teran, dans l’état de Oajaca, toutes deux vivaient du modeste produit de leur industrie de cigarreras. Et si la vieille femme avait manifesté à Berrendo, qui lui était inconnu, tant de dédain à l’endroit des insurgés, c’était une ruse qu’elle employait par prudence. La mère et la fille causaient tout en travaillant à la confection des produits de leur profession. La conversation avait pris un certain tour qui justifiait en partie le proverbe espagnol, assez peu respectueux pour la vieillesse féminine, et qui ne laisse pas d’avoir cours au Mexique même dans la meilleure compagnie : toda vieja es alcahueta. Sans croire être entendue de personne, la mère disait à sa fille :

— Eh bien ! Luz, avais-je tort de te dire qu’on prend plus sûrement les hommes par les dédains et la fierté que par l’appât des doux sourires et des tendres regards ? Voilà deux hommes qui, en deux jours sont tombés dans les filets tendus par l’orgueil et la sauvagerie de ton maintien, qui n’eussent vu en toi qu’une maîtresse facile, et entre lesquels tu peux choisir un mari.

— Vous croyez, ma mère, répondit la jeune fille, que ces deux cavaliers étrangers…

— Si je le crois ! cela ne dépendra que de toi, maintenant qu’ils sont affriandés l’un et l’autre par l’air de pudeur farouche dont je t’ai conseillé