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Que me tienen cautivo
Que si vieras los despojos
De mi corazon vivo[1]

— Ces vers sont galans, dit la vieille, ils me semblent même inédit, Luz, c’est ton nom, et c’est toi qui les inspires ; c’est aussi la voix du jeune cavalier aux noirs sourcils.

— J’aimerais mieux que ce fût la voix d’Andrès, dit Luz.

— Qu’importe ? Prête à l’un ton cœur, à l’autre ton oreille.

Et les deux femmes attendirent la suite du couplet ; mais le chanteur attendait aussi quelque encouragement à ses stances amoureuses, et on ne lui répondit que par le plus profond silence. Il ne se tint pas cependant pour battu, car, au bout de quelques instans, la voix se fit entendre de nouveau et cette fois dans le jardin, dont le musicien avait franchi la haie. Là, sans qu’on put le voir encore, il reprit imperturbablement le couplet auquel on n’avait point répondu. C’était bien en effet Berrendo, qui n’avait pas assez de poésie inédite à son service pour la gaspiller en pure perte ; mais le couplet ne s’acheva pas, et on entendit une lame d’épée grincer en quittant le fourreau, puis des paroles de menace s’échanger entre deux interlocuteurs.

Jésus ! ils vont se battre ! cria la vieille avec effroi ; ils tirent l’épée, adieu nos deux protecteurs !

Quant à tirer l’épée, Berrendo n’avait garde de le faire, car on se rappelle qu’il avait laissé sa rapière pour répondre de la mandoline, et il se trouvait pris au dépourvu par Andrès, qui, caché avant lui dans le jardin, avait entendu presque toute la conversation dont son rival et lui avaient été le sujet.

— Arrêtez, seigneurs cavaliers ! s’écria la mère, ma fille n’a donné à personne le droit de se battre pour elle ; mais il dépend de vous que l’un des deux rivaux l’obtienne plus tard.

À cet encouragement inattendu, les deux voix firent silence. Venez ici, à ces barreaux, reprit la vieille ; recevez d’une mère jalouse de l’honneur de sa fille une preuve de la plus haute confiance. Nous tiendrons, ma fille et moi, pour cavalier félon celui qui ne viendra pas ici l’épée dans le fourreau et la paix dans le cœur et sur les lèvres.

Andrès et Berrendo se présentèrent tous deux, le feutre à la main, dans la zone de clarté que deux chandelles de résine projetaient au-delà des barreaux, le premier sans rancune et confiant dans le doux aveu qu’il avait surpris sur les lèvres de la jeune fille, le second avec l’assurance qu’il devait au sentiment de son propre mérite. Alors la mère de Luz entremêla avec tant d’adresse les promesses d’adoucir la

  1. « Lumière divine des yeux – qui me tiennent captif, — si vous voyiez les ruines ( ?) – de ce cœur déchiré… »