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L’Anglais, qui n’était pas au courant de la légende, attendait impassible le retour d’Andrès, quand celui-ci revint d’un pas grave et mesuré reprendre la bride de son cheval.

— J’ai eu tort de ne pas emporter ma carabine avec moi ; je saurais à présent du moins à quoi m’en tenir, dit-il.

— À quoi servent les balles contre les fantômes ? reprit. Berrendo à voix basse. N’avez-vous pas vu comment celui-ci a disparu malgré toutes vos précautions et votre habileté ?

— Ah ! si j’avais le temps, je saurais bien, fût-ce un esprit de l’air, le suivre à la piste ; mais s’arrêter ici serait s’exposer à faire naufrage au port, car tout à l’heure nous allons voir la lune briller sur les clochers de Tehuacan.

Andrès remonta sur son cheval, et les voyageurs reprirent leur route d’un pas assez vif pour regagner les momens perdus. Le rastreador gardait le silence et semblait profondément absorbé.

— Vous ne croyez donc pas au faucheur de nuit ? reprit Luz en interrompant ses méditations.

— C’est un faucheur de chair et d’os comme nous : les chevaux n’ont montré nul effroi en l’apercevant, comme font, dit-on, les animaux à l’aspect d’un habitant d’une monde différent du nôtre. Mais que faisait-il là ?

— Il fauchait, pardieu ! reprit Berrendo ; il accomplissait son éternelle expiation. N’avez-vous pas remarqué ce chapeau avec cette plume à la mode espagnole d’il y a trois cents ans ?

— C’est un rôle joué, vous dis-je, et quand on joue un rôle quelconque, on cherche toujours à en prendre le costume ; mais pourquoi cette comédie ? voilà ce que je me demande. Un vrai faucheur indien n’eût pas pris ce chapeau à plumes, quand même il eût choisi cette heure de la nuit ; celui-ci à donc intérêt à tromper ou à effrayer quelqu’un, continuait Andrès ; puis, se révoltant avec l’orgueilleuse conscience de sa pénétration contre un obstacle en apparence insurmontable : — Je saurai, s’écria-t-il, ce que faisait cet homme ou ce fantôme ! Vous serez d’ici à une heure en sûreté à Tehuacan ; j’y serai deux heures après vous.

Et, sourd aux remontrances des deux femmes et de Berrendo, qui continuaient à voir une apparition surnaturelle dans le faucheur de nuit, Andrès rebroussa chemin au galop, et ne tarda pas à disparaître pour la seconde fois comme ces chevaliers errans qui, fiers de prouver leur courage indomptable aux yeux de leur maîtresse, se lançaient sans hésiter dans les plus terribles aventures.

Déjà Berrendo, l’Anglais Robinson et les deux femmes n’étaient plus qu’à une courte distance de Tehuacan ; ils allaient désormais se trouver en sûreté, quand une troupe d’une vingtaine de cavaliers qui sortaient