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de près le bord de l’eau, se glisser parmi eux. Encouragés par leur présence, les hommes tinrent bon sans reculer ; mais tout à coup ils virent s’avancer à peu de distance la tête d’une nombreuse colonne espagnole.

— C’est ici que nous devons mourir, dit aussitôt Andrès à Berrendo, pour moi du moins. Si le pont est forcé, c’en est fait de Teran et de mon honneur ; ordonnez la retraite.

Berrendo fit ce que désirait le chercheur de traces, sans se rendre compte de son intention.

— Au pont, au pont ! s’écria-t-il.

Les hommes obéirent, et tous se trouvèrent bientôt sur le pont mobile à la suite les uns des autres, présentant le rempart de leurs corps pour arrêter l’ennemi.

Un petit nombre d’Espagnols seulement avaient pu parvenir à s’établir à la tête du pont, qui tremblait sous la lutte. Andrès saisit alors la hache de l’un des soldats, et Berrendo vit, mais trop tard pour pouvoir s’y opposer, quelle était l’intention d’Andrès en disant que c’était là qu’ils devaient mourir. Au lieu de se servir de sa hache pour frapper les assaillans, il attaquait avec fureur les lianes qui soutenaient le plancher du pont. Heureusement l’élasticité de ces lianes tordues faisait rebondir la hache ; dont le tranchant ne pouvait les entamer. Berrendo voulut s’opposer aux efforts du chercheur de traces ; mais il fut au même instant obligé de disputer sa vie à un soldat espagnol, et ne put songer qu’à sa défense personnelle. Libre de ses mouvemens, Andrès attaqua le pont d’un autre côté. Sa hache tranchait les courroies de cuir qui liaient bout à bout le plancher mobile, et Berrendo sentit que le pont allait manquer sous ses pas. Il venait, dans un effort désespéré, de se débarrasser de son antagoniste, et il cria à Andrès de ne pas le sacrifier avec lui ; il n’était plus temps. Un dernier coup de hache venait de trancher le dernier lien qui tenait les planches réunies. Une trappe s’ouvrit aussitôt, par laquelle amis et ennemis tombèrent d’une hauteur de trente pieds dans les eaux ténébreuses du Playa-Vicente. Berrendo seul garda assez de sang-froid pour saisir fortement une des lianes qui flottaient au-dessus du fleuve et s’y retenir suspendu entre l’eau et le ciel, sans espoir de secours, il passa ainsi quelques secondes dans une terrible angoisse ; puis, frappé d’une balle qu’on lui lança de l’autre bord et qui lui brisa l’épaule, Berrendo lâcha la liane à laquelle il était accroché. Quand, tout blessé qu’il était, il revint la surface du fleuve, au fond duquel il avait plongé, il essaya de distinguer ce qui se passait autour de lui. Tout était silencieux et morne ; les eaux assombries par la voûte des rochers, coulaient tranquillement le long des berges à pic qui ne lui