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doucement, puis un peu plus fort, si bien que l’escribano leva la tête en se frottant les yeux. Après avoir machinalement pris sa plume et appuyé son avant-bras sur une feuille de papier, afin d’en faire disparaître les plis, le scribe se posa en maître d’écriture et regarda fixement la jeune fille.

— Voyons, dit il à demi voix. — Mi querido… et puis après ? – En parlant ainsi, il traça d’une main sûre les deux mots : Mi querido, qu’il environna d’un nuage de parafes.

Mi querido ? répéta Rosita ; mais, en vérité, je ne sais pas si je puis commencer ainsi…

— Eh bien ! dit l’écrivain, ce papier-là servira à une autre. Allons que mettrai-je ? Señor cavallero, excellentissimo señor ?… Voyons donc niña, vas-tu me tenir la plume en l’air jusqu’à midi ?

— Jésu ! répliqua la jeune fille en se cachant derrière le pilier qui abritait le bureau du scribe, que c’est difficile d’écrire à quelqu’un à qui on n’a jamais parlé !… Eh bien ! mettez : Muy señor mio… non ; mettez plutôt : Señor capitan ; je crois qu’il est capitaine.

— Ah ! s’écria le scribe impatienté ; si tu ne sais pas ce que tu veux dire, niña, tu vas me faire barbouiller le papier ; ta lettre aura l’air d’un brouillon d’écolier, plein de ratures et de mots ajoutés en marge. Cela serait dommage ; du papier d’un real !

— D’un réal ! et pour écrire, combien prenez vous donc ? demanda Rosita.

— Vas-tu marchander ? dit l’écrivain. Puisque c’est à un cavallero que tu adresses ton épître, il faut que la chose soit propre et bien tournée. Dépêchons-nous, et, si tu ne me fais pas perdre trop de temps, je te passerai le tout à quatre réaux, papier et rédaction.

— Quatre réaux ! s’écria Rosita ; Maria purissima, que c’est cher !

— Eh bien, niña, apprends à écrire, et ne viens plus éveiller un escribano qui dort tranquillement devant son bureau pour lui dire quoi ?… que tu n’as pas quatre réaux dans ta poche. Une belle fille, en vérité, pour écrire à un capitaine !… Tu ferais mieux d’acheter pour un medio de soie noire et de raccommoder ton voile qui bâille au vent !

En achevant ces mots, il tourna le dos à la jeune fille, essuya sa plume sur sa manche et se croisa fièrement les bras. Rosita se fût exécutée de bonne grace ; mais cette brusque sortie de l’écrivain la mit en fuite. Quand elle eut quitté la grande place, elle dénoua la pointe de son châle et se mit à compter l’argent qu’elle y tenait enveloppé. — Quatre, huit, dix, vingt réaux, se dit-elle en contemplant sa bourse. Que je suis sotte de m’être troublée ! j’aurais mieux fait de dire son nom, puisque je le sais maintenant, et de mettre tout simplement : Señor don Patricio… La lettre serait écrite ; il l’aurait dans une demi-heure… Oui, mais il a dû en recevoir bien d’autres depuis qu’il est à