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considérés quelques instans, don Patricio reprit ses crayons et se mit à esquisser de souvenir ce petit groupe de fuyards, qui formait une scène fort animée.

— Que faites vous ? lui cria Rosita pâle de frayeur ; ne voyez-vous pas qu’ils viennent par ici ? Ils seront sur nous avant cinq minutes.

Le bruit de plusieurs coups de feu qui retentirent au même instant dans la vallée lui ferma la bouche ; elle tomba à moitié évanouie aux pieds de don Patricio : celui-ci se pencha sur les rochers et regarda. Il n’eut plus besoin de sa longue vue pour suivre tous les détails du drame qui s’accomplissait désormais assez près de lui. Tandis que les brigands fuyaient, une partie du détachement de lanciers envoyé à leur poursuite avait tourné la montagne pour leur couper la retraite. Cette manœuvre, bien exécutée, amena une rencontre. Après avoir hésité, les bandits déchargèrent leurs armes au hasard sur les soldats qui les serraient de près, puis se jetèrent tête baissée dans les fourrés qui couvrent les flancs des rochers. Les balles de leurs tromblons avaient blessé légèrement quelques lanciers et abattu deux ou trois chevaux ; cependant les lanciers répondirent instantanément au feu de l’ennemi. Leurs carabines portaient plus juste que les trabucos évasés des brigands ; une balle fracassa la cuisse de l’un des fuyards, et il tomba. Les autres, au lieu de défendre leur compagnon, l’abandonnèrent aux mains de la justice et allèrent se cacher dans les escarpemens des sierras voisines. Le blessé n’avait point envie de se laisser prendre vivant. Adossé à un arbre, à genou sur la seule jambe qui pût le soutenir, il provoquait les soldats par des paroles insultantes et promenait autour de lui la gueule béante de son tromblon. L’arme était-elle vide ou chargée ? Les lanciers n’en savaient rien, et aucun d’entre eux ne se souciait beaucoup de vérifier le fait. Pendant quelques minutes, le bandit, pareil à un sanglier forcé par les chiens, fit tête aux assaillans ; mais tout à coup un brigadier, piquant des deux, plongea sa lance dans le cœur du blessé et le cloua sur l’arbre qui lui servait d’appui. Le bandit laissa tomber son tromblon ; ses yeux, éclairés par un reste de fureur, se fermèrent bientôt, et il expira. C’était un mulâtre d’une taille colossale, aux formes athlétiques. Les soldats, fières de leur victoire, chargèrent son corps sur l’un de leurs chevaux, afin de le ramener en triomphe dans la ville. Ils l’avaient jeté en travers sur la selle ; ses longs bras et ses grandes jambes, que la vie n’amortit plus, se heurtaient aux pierres du chemin, et les ronces fouettaient ce visage souillé de sang et de poussière, qui semblait menacer encore.

— Maintenant, dit don Patricio à la jeune fille, la route est libre ; vous pouvez en toute sûreté continuer votre promenade.

— Jésus Maria ! sortir d’ici toute seule ! s’écria Rosita ; qui sait s’ils ne vont pas encore tirer des coups de fusil ? Je ne m’en irai qu’avec