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sa tâche avec une irréprochable sollicitude : — l’état offrait l’image d’une grande famille. Malheureusement la tolérance excessive du pouvoir devait à la longue, tourner contre lui ; elle créait à ses adversaires des facilités dont ceux-ci ne surent que trop bien profiter. On avait cru pouvoir se reposer sur le bon sens ; des populations dans un pays où des comptes-rendus publiés chaque année permettaient de contrôler, à un centime près, les recettes et les dépenses du budget, de suivre les actes de l’administration dans leurs moindres détails : on reconnut bientôt qu’on s’était trompé. Une opposition malveillante et perfide s’organisa, profitant des moyens que la liberté d’association lui donnait d’agir sur les masses. Les cercles, les sociétés fédérales, les nombreuses fêtes destinées à resserrer le lien de la nationalité, fournirent des occasions fréquentes de déclamer en public contre les institutions établies et de déverser le mépris sur les autorités. Lorsque surtout, après des tentatives révolutionnaires réprimées dans les pays voisins, les réfugiés politiques affluèrent en Suisse, on vit la propagande des idées radicales, devenue à la fois plus forte et plus active, prendre un rapide essor. Ces hommes, qui avaient échoué dans leur patrie contre des baïonnettes bien disciplinées, cherchaient à se faire un appui de la démocratie suisse, et ils ne tardèrent pas à comprendre qu’en soulevant la foule ignorante et abusée, on viendrait aisément à bout des gouvernemens cantonaux, qui n’avaient pas d’armée permanente, et ne possédaient d’autre moyen de défense que les baïonnettes intelligentes et fort peu dévouées de la milice, c’est-à-dire les armes les plus faciles à retourner contre ceux qui les emploient.

C’est alors que du milieu des mécontens surgit, en Suisse, le parti radical, composé d’un bon nombre de médiocrités jalouses, d’esprits turbulens et ambitieux, d’individus tarés, à la tête desquels figuraient quelques hommes de talent, mais d’une moralité douteuse, déclassés par leur propre faute et tout disposés à s’en venger sur l’ordre social. Pervertir l’opinion publique, altérer le sens moral, persuader à la nation la plus libre et la plus heureuse qu’elle gémissait sous un joug insupportable, telle fut la tâche que les radicaux acceptèrent, résolus à s’aider du socialisme comme d’un auxiliaire précieux. Les doctrines dissolvantes du socialisme étaient en effet de nature à exercer quel que influence sur une population divisée beaucoup plus par des questions d’amour-propre et par des rivalités jalouses que par des principes politiques.

La démocratie représentative constituait le régime de presque tous les cantons suisses. Dans ceux de Vaud et de Genève surtout, elle obéissait à une impulsion libérale qui semblait devoir lui assurer le concours des amis les plus ardens du progrès. Il n’existait plus d’autres privilèges que ceux de la supériorité intellectuelle et morale, ou l’influence assez légitime de la richesse noblement employée ; mais ces privilèges sont précisément ceux auxquels s’attaquent le plus volontiers les préventions et les haines, car ils tracent l’inégalité la plus réelle et la plus ineffaçable entre les hommes. On réussit donc, sans beaucoup de peine, à semer des germes révolutionnaires ; s’aidant de la presse, s’appuyant sur les associations, se servant au besoin du mensonge, le radicalisme fit son œuvre en peu d’années. Il sut habilement profiter des ressources que lui offrait l’état politique de la confédération suisse, dont les élémens hétérogènes étaient agrégés plutôt qu’unis par un pacte très défectueux. Ses premiers succès eurent pour résultat de rendre insolubles toutes les questions