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le conseil d’Horace, c’est à coup sûr Pascal. Nous savons en effet, et à n’en pouvoir douter, que presque toutes les Provinciales ont été récrites plusieurs fois, une entre autres jusqu’à treize fois. Dans ce temps de stérilité, l’improvisation sans loi et sans frein n’était pas encore en honneur. Pauvre Pascal ! quelle ingénuité ! récrire une lettre jusqu’à treize fois ! quel misérable et puéril souci ! Il est vrai que les Provinciales, dont le style rapide et vigoureux étonne les hommes du métier, semblent à la foule ignorante écrites de premier jet, et que les pages improvisées ne rencontrent pas souvent la vigueur et la rapidité. Il est vrai que Pascal est demeuré le maître du pamphlet, et que personne encore n’a trouvé moyen de l’égaler dans la polémique théologique ; mais, quoiqu’il soit mort à trente-neuf ans, il nous a laissé un si petit nombre de pages, qu’il doit faire pitié aux grands producteurs littéraires de notre temps. Sa puissance n’équivaut pas même à deux atmosphères. Il est aux grands génies qui charment nos ennuis ce que la tortue est au cerf.

L’histoire anecdotique des Pensées n’est pas traitée avec un soin moins scrupuleux que l’histoire des Provinciales. Personne ne lira sans étonnement tout ce que M. Sainte-Beuve nous raconte, preuves en main, des mutilations et des interpolations subies par les Pensées. Le rôle d’Arnauld, de Nicole et de M. de Roannez est désormais établi, et, bien qu’il soit impossible d’assigner à chacun la part qui lui revient, nous savons du moins avec quelle défiance on doit lire l’édition des Pensées donnée par les solitaires de Port-Royal.

M. Sainte-Beuve, en revoyant cette parie de son travail, a profité habilement de tous les documens nouveaux publiés sur Pascal depuis quelques années, et surtout de l’excellent rapport présenté à l’Académie française sur la nécessité d’une nouvelle édition des Pensées de Pascal. Les manuscrits dépouillés par M. Cousin sont en effet du plus haut intérêt. Deux morceaux capitaux sont pour la première fois rendus à leur vrai sens et remis en possession de leur vrai caractère : l’application de la règle des paris à l’existence de Dieu, et la comparaison des deux infinis. Le manuscrit original mis en regard des pages châtiées et châtrées par Nicole et Arnauld nous révèle un Pascal tout nouveau. C’est là qu’il nous est donné de surprendre et d’étudier toutes les angoisses de ce génie puissant qui se débat sous les étreintes du doute. Les atténuations imaginées par les amis de l’auteur nous masquaient sa pensée, et parfois même la défiguraient en essayant de la redresser. Aujourd’hui nous savons pleinement ce que vaut Pascal dans l’ordre philosophique. Il faut renoncer aux idées dont notre jeunesse a été nourrie, et voir en lui l’interprète le plus éloquent du scepticisme. À cet égard, l’argumentation de M. Cousin ne laisse aucun doute. Dans l’introduction placée en tête de son rapport, il a épuisé