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nom. Tous les objets décrits dans les Antiquités celtiques ont été réunis dans une vaste galerie que l’auteur a fait construire en 1848. Ce musée, unique en son genre, offre un spécimen complet de l’industrie humaine à l’époque où l’usage du fer n’était point encore connu. On y trouve des haches de pierre emmanchées et montées dans des cornes de cerf, des silex taillés et tranchans comme nos couteaux modernes, des lances ou des javelots formés avec des tibias humains effilés et durcis au feu, des boîtes à parfums faites avec des rotules de boeuf, de petites scies, des coins, des marteaux en cailloux ; des silex de forme annulaire, soigneusement polis, percés à leur centre d’un trou rond et régulier, et qui servaient à former des colliers et des bracelets. Le musée de M. de Perthes est sans contredit l’une des plus curieuses créations archéologiques qui aient été faites en France dans ces dernières années, comme son livre est un de ceux qui sont de nature à éveiller les discussions les plus sérieuses.

À côté de ce travail, qui est avant tout une œuvre de théorie générale, nous indiquerons encore, dans la même ville, les travaux tout-à-fait particuliers au pays de MM. de Marsy, F. Louandre et Prarond ; le premier a donné une bonne Notice sur les coins monétaires qui existaient à l’échevinage d’Abbeville avant 89, et sur les principales monnaies du Ponthieu ; le second, une chronologie annotée des maieurs et des maires de la même ville, de 1184 à 1847. Les maires d’Abbeville, qui exerçaient une autorité quasi-souveraine, avaient le commandement militaire de la cité, et même le commandement des troupes royales qui s’y trouvaient en garnison ; ils étaient en possession de la haute justice ; ils condamnaient à mort sans appel ; avec exécution dans les vingt-quatre heures, et, pour s’assurer que leurs sentences étaient bien exécutées, ils allaient eux-mêmes conduire les coupables au pilori, et ils leur passaient la corde au cou en leur adressant une allocution paternelle. Ce qui rend intéressant l’opuscule sur les maires d’Abbeville, c’est qu’il montre avec quelle indépendance et quelle force certaines communes étaient organisées moyen-âge, et combien le principe de l’autorité était énergiquement constitué dans la démocratie municipale. Si, dans le nord de la France, la responsabilité des officiers des échevinages était considérable, leur inviolabilité l’était également. Le pouvoir, délégué par tous, devait être respecté par tous, et ceux qui se permettaient de le calomnier n’en étaient pas toujours quittes pour une oreille ou le bout de la langue ; on les bannissait après les avoir mutilés et quelquefois même on les pendait. Les Notices de M. Ernest Prarond sur les rues et les faubourgs d’Abbeville, et son Voyage dans l’arrondissement de cette ville ont un cachet de distinction littéraire qu’il est rare de rencontrer dans les livres du même genre. M. Prarond, qui a publié de jolis vers, a gardé, dans ce travail d’érudition locale, ses inspirations d’artiste. En donnant pour épigraphe à son livre le mot des flaneurs de l’antiquité : Per vias et pluteas, il a expliqué en fort bons termes comment il appartient à cette école d’érudits locaux, qui forment, dans chaque ville du nord, une académie des inscriptions renfermée dans la banlieue, et qui s’attachent d’âge en âge à recueillir la tradition qui s’efface, à sauver la pierre qui tombe du monument. L’affection qui se lie aux lieux où l’on est né, aux premières impressions de la vie, le retour involontaire de l’esprit sur les choses du passé, si simples et si peu importantes que soient ces choses, voilà, dit-il, les sentimens qui ont inspiré son travail, et nous ajouterons, pour notre part, qui l’ont inspiré heureusement,