Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/938

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surtout dans la partie anecdotique et dans toutes les questions qui touchent au côté élégiaque de l’histoire.

M. Labourt, de Doullens, à qui l’on doit, entre autres, un Essai sur l’origine des villes de Picardie, a publié, en 1848, un livré curieux : Recherches historiques et statistiques sur l’intempérance des classes laborieuses et les enfans trouvés. Lorsque la plupart des écrivains de notre temps ne parlent au peuple que de ses droits, M. Labourt s’est appliqué à lui parler de ses devoirs, et il a mis, avec indépendance et talent, une vaste érudition au service d’une pensée utile et morale.

Dans le département de l’Oise, qui est en partie un démembrement de l’ancienne Picardie, M. E. Woillez a publié dans le format in-folio, avec des dessins d’une très bonne exécution, l’Archéologie des monumens religieux du Beauvaisis, depuis le Ve siècle jusque vers la fin du XIIe, et dans ce livre exact et savant il a démontré que le Beauvaisis possédait, durant la période romane, une école d’architecture religieuse indigène, parfaitement caractérisée ; on doit encore à M. Woillez une Iconographie des plantes aroïdes, telles qu’on les figurait au moyen-âge en Picardie, et considérées comme origine de la fleur de lys. Ce dernier travail est fort ingénieux, mais nous pensons qu’il est difficile d’arriver, dans la question qui s’y trouve traitée, à un éclaircissement complet. Beneton de Peyrins, Bullet et une foule d’autres érudits s’en étaient vivement préoccupés sous l’ancienne monarchie : les uns ont vu dans les fleurons qui se montrent, sur quelques monumens figurés, aux couronnes de la seconde race, le type primitif de cet emblème, d’autres ont vu ou cru voir dans ces fleuron des lys véritables ; mais comme on ne peut faire positivement la distinction des fleurons et des lys, comme les monumens d’après lesquels on a disserté étaient souvent d’une date incertaine, il est résulté de là une grande obscurité. Quand on pose nettement la question en ces termes : Qu’est-ce que la fleur de lys telle qu’on la voit représentée sur le blason royal ? est-ce une fleur, un fer de lance, ou le type dégénéré de l’abeille impériale ? à quelle époque la voit-on paraître ? — on ne peut répondre que par des conjectures. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on trouve des lys sur les sceaux des empereurs d’Allemagne, sur les couronnes de quelques rois d’Angleterre, antérieurement à l’époque où ils commencèrent à figurer dans les armoiries des rois de France : ce n’est qu’au XIIe siècle qu’ils furent adoptés dans le blason héréditaire d’une famille souveraine, et ce n’est qu’à cette date qu’ils sont mentionnés par les textes dans une ordonnance rendue en 1179 sur les cérémonies du couronnement, et dans Rigord, qui écrivait sous Philippe-Auguste. M. Woillez a fait beaucoup mieux que ses prédécesseurs : il a soutenu sa thèse avec beaucoup de savoir et de sagacité ; mais cette thèse ne nous paraît pas concluante, et il aurait pu, ce nous semble, choisir un sujet plus heureux. Il en est de ce problème héraldique comme de tant d’autres questions qui ont le privilège d’offrir aux discussions des érudits un texte inépuisable. Le dernier venu prouve inévitablement que ses prédécesseurs se sont trompés ; ce qui n’empêche pas que l’opinion pour laquelle il a dépensé beaucoup de temps et de travail reste à son tour à l’état d’hypothèse : c’est la quadrature du cercle, ou le mouvement perpétuel de l’érudition.

Aux nombreux travaux que nous venons d’énumérer il faut ajouter les Mémoires des sociétés savantes d’Abbeville de Saint-Quentin d’Amiens et de Beauvais.