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de sa force, et qu’il y aurait impossibilité matérielle de jamais la fédéraliser. Supposez tant que vous voudrez une pure question politique, une question de guerre ou de paix, une question de cabinet, s’il y en avait encore ; cette question éclate au moment où les conseils-généraux s’assemblent imaginez-vous qu’il y aurait autour d’eux le moindre entraînement pour les aider à formuler leur avis, à prendre parti sur un démêlé diplomatique ou sur une crise ministérielle ? Est-ce que leur voix ne serait pas couverte par le ridicule, si seulement ils avaient l’idée d’empiéter ainsi sur la souveraineté nationale, et de s’ériger eux-mêmes en autant de corps souverains qu’il y a de départemens ? Pourquoi donc ne se sont-ils pas interdit d’aborder cette pénible affaire de la révision ? Pourquoi, loin de les blâmer, la grande majorité de la nation les appelle-t-elle sur ce terrain ? Pourquoi tous tant que nous sommes, les avocats ou leurs adversaires, attentons-nous avec un si vif intérêt le résultat de leurs votes ? C’est que la révision n’est pas, en somme, une question politique dans l’acception ordinaire du mot : elle dépasse cette mesure restreinte ; elle est une question d’existence pour tout un peuple. Entendons-nous bien : le plus important dans cette pensée de la révision, ce n’est pas de savoir quelle sera la forme constitutionnelle, ou quelle sera la personne qui gouvernera la France en 1852 ; il s’agit d’abord d’empêcher que la France ne tombe dans le chaos ouvert sous ses pas par l’imprudence systématique des législateurs de 1848 à l’expiration des pouvoirs actuellement en exercice. On ne vaincra point cet effroi raisonnable et patriotique qui s’empare de tous les gens sensés à la seule idée du désarroi dans lequel le pays sera plongé entre un pouvoir moribond et un pouvoir à naître. Le meilleur titre qui a recommandé la révision à la faveur universelle, c’est qu’elle est une précaution possible contre cette crise à laquelle on nous a condamnés. La nécessité de la révision ainsi conçue pénètre aisément dans toutes les intelligences ; il ne s’agit plus là du plaisir ou de l’honneur de s’attacher une cocarde, il n’y a point en jeu de métaphysique ou de mystère : on veut la révision comme on veut un garde-fou devant un précipice. Allez donc chercher des nuances politiques dans ce profond instinct de conservation que donne aux multitudes comme aux individus l’horreur de l’abîme. Cet instinct, il est partout, et tous les échos en renvoient le cri : à l’atelier comme aux champs, toute la grande famille des travailleurs regarde avec angoisse approcher la date fatale où le travail s’arrêtera de lui-même, parce que l’homme ne travaille point sans lendemain. Comment fermer les yeux, quand l’autre famille humaine, celle des paresseux et des violens, ne cesse d’en appeler à ce fameux jour de 1852, comme au jour qui lui procurera toutes ses joies ? « Nous faisons volontiers flamboyer ce chiffre en tête de mes colonnes, » nous disent les démagogues de Londres dans la Voix du Proscrit. Est-il surprenant que cette flamme sinistre soit un avertissement pour tout le monde ? et se mettre en garde sur un pareil avertissement, n’est-ce donc qu’un expédient politique ? Non : c’est une mesure de paix publique et de salut social. Les conseils-généraux sont aussi légitimement autorisés à chercher un abri contre cette terrible secousse de 1852 qu’ils le sont à réparer ou à prévenir les dégâts des inondations et des incendies.

Les adversaires de la révision font, sur les votes déjà connus de ces conseils, une remarque qui tourne trop à leur propre confusion pour que nous ne