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prussien de vouloir ainsi toujours donner de sa personne dans cette propagande dogmatique, qui est à peu près tout le fond de son gouvernement. Il aime à exhorter, à louer, à réprimander, il a le goût du discours magistral, et désire par-dessus tout amener les gens à résipiscence, et il ne les lâche qu’après qu’ils ont reconnu leur faute et mérité leur absolution. Ce n’est pas sur un trône que siége ce roi quasi-constitutionnel, c’est dans un confessionnal, quand ce n’est pas dans une chaire d’université.

La politique maintenant dominante en Prusse marche ainsi par ces deux voies ; elle dogmatise de haut et presque dans les nuages en même temps qu’elle agit assez petitement dans ce bas monde, et l’on ne saurait mieux comprendre tout ce que l’apparente élévation de son dogmatisme a de factice et de mensonger qu’en considérant d’un peu près la brutalité fort terrestre de ses procédés. On a vu naguère comment les séides de cette politique, les propriétaires nobles des provinces orientales, se prétendaient dispensés d’acquitter l’impôt foncier, et ne consentaient à le subir que si l’état leur assurait d’avance une indemnité suffisante, en leur rachetant par une somme une fois payée leur droit d’exemption. Ce qu’il y a de certain, c’est que la loi de l’impôt foncier reste toujours en suspens, et que ce sont ces résistances qui l’arrêtent. Il apparaît maintenant une autre fantaisie qui n’est pas moins naïvement hostile au bien d’autrui. Les domaines nobles auxquels sont attachés tous les privilèges féodaux dont on espère la résurrection n’appartiennent point malheureusement toujours à de vrais chevaliers ; ce sont des bourgeois enrichis qui les ont achetés, et l’on n’est point assez sûr que ces intrus aient déjà tous les sentimens de la vraie noblesse. Aussi l’on pétitionne à grand bruit pour obtenir que désormais nul ne puisse acquérir un domaine noble, s’il n’est bon chevalier de naissance, — que ces bons chevaliers soient toujours en droit de racheter les domaines mal occupés, et qu’enfin si l’argent leur manqué, l’état le leur prête. L’état n’en viendra pas là tout de suite, nous aimons à le croire ; mais il n’en est pas moins très curieux de voir à quelle hauteur l’esprit du roi Frédéric-Guillaume IV plane constamment par-dessus toutes ces mesquines envies qui sont pourtant bien et dûment les protégées de sa doctrine. Suivez-le dans son itinéraire à Hamm, à Dusseldorf, à Cologne ; écoutez-le distribuer le pain de sa parole comme un missionnaire évangélique. Il n’est question que du redressement des esprits et des consciences, et tout cela dans un langage mystique et féodal, qui est juste pareil à celui de 1840. « Je bois, dit-il aux bourgeois de Dusseldorf dont il est content, je bois à la vieille fidélité de cette ville et de ce pays ; je bois à la nouvelle fidélité puisse sa naissance ne pas causer beaucoup de douleurs ! » Et aux bourgeois de Cologne, qui ne sont pas très gracieux pour l’école historique : « Je ne suis pas venu ici pour faire des complimens, pour récompenser ou pour punir, mais pour vous dire la vérité, toute la vérité ! » La vérité qu’on veut leur faire entendre, c’est que la presse les gâte, et qu’on les guérira malgré eux. Puis sa majesté prussienne arrive enfin à Hechingen, le but du voyage. Le puissant chef de la maison de Hohenzollern a désiré recevoir en personne l’hommage de ces petites principautés d’où sa famille est originaire, et dont les souverains se sont donnés à la Prusse sous le coup des terreurs de 1848. Frédéric-Guillaume IV se retrouve là décidément en pleine féodalité. Il embrasse ces princes de son sang, qui lui rendent foi et