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— et c’est celle-là sans aucun doute qui prêterait le plus aisément aux commentaires, aux rectifications que pourrait dicter l’expérience ; — l’autre est la partie plus purement historique où l’auteur, en décrivant quelques-unes des origines de la civilisation européenne, fait converger tous les progrès de la pensée politique vers l’établissement du gouvernement libre. M. Guizot ne poursuit son travail assez avant que pour l’Angleterre. L’éminent publiciste avait assurément un but politique en enfonçant ainsi dans l’histoire les racines du régime représentatif qu’il croyait le seul capable de protéger la société moderne en l’honorant ; mais, par ce côté même, il se distinguait profondément des propagateurs d’abstractions révolutionnaires. En rattachant le présent au passé, en montrant notamment, par l’histoire politique de l’Angleterre comment un peuple se développe, par quelle lente et mystérieuse élaboration il arrive à se donner une organisation virile, quelle large et juste place occupe toujours la tradition dans son existence, M. Guizot opposait la plus éloquente réplique aux reconstructeurs de sociétés à priori, à tous ceux qui prétendent asservir un peuple aux principes abstraits qu’ils forgent et aux illuminations de leurs cerveaux échauffés. J’ajouterai une chose : c’est qu’au fond, en s’attachant au sens de ce beau travail historique, on pourrait y trouver peut-être la réfutation de M. Guizot lui-même et de ses anis, de ceux en un mot qui tentaient avec éclat la naturalisation artificielle des institutions anglaises dans notre pays ; car enfin cette Angleterre libre et prospère dont on invoque l’histoire, comment a-t-elle atteint ce degré de grandeur politique ou elle est ? C’est en n’obéissant qu’à sa propre inspiration et à la loi intérieure de son développement national, par le mouvement original et spontané de son génie et de ses mœurs, par le plus opiniâtre et le plus héroïque travail sur elle-même, par le mépris des abstractions et des fictions, et souvent aussi par la combinaison d’élémens contradictoires, mais réels et vivaces. Nous avons pris à l’Angleterre l’appareil extérieur de ses institutions en prétendant le perfectionner ; nous avons calqué ses révolutions et ses changemens de dynasties : lui avons-nous pris son génie, ce caractère national trempé dans les luttes de son histoire, et par lequel vivent ses institutions ? Pouvions-nous même le lui prendre ? C’est ce qui fait dire aujourd’hui à M. Guizot que le régime représentatif ne peut avoir un type unique, qu’il doit se proportionner aux origines et aux destinées de chaque pays. Malheureusement, dans cette poursuite artificielle d’institutions qui ne naissaient point de nous-mêmes, nous nous sommes éloignés du but, nous avons laissé s’obscurcir la notion de nos propres besoins, des conditions réelles de notre propre existence, et tandis que notre ennemi, l’esprit révolutionnaire, grandissait autour de nous, au lieu de lui opposer la virilité d’un sentiment moral et politique intact, nous nous préparions à le combattre par des fictions. La révolution de février ne nous aurait rien appris, si elle ne nous avait point enseigné que nous avons à la combattre dans ses conséquences avec d’autres armes que des fictions, des mécanismes savans, — et même des réconciliations universelles de toutes les dynasties que nous avons poussées dans l’exil.

Il est très vrai, en effet, que cette révolution, à l’insu même de ses auteurs et de ses héros, aura été une époque décisive et féconde dans cet ordre d’avertissemens et de révélations morales. Elle nous aura contraints à replacer nos esprits en face de tous les grands problèmes de la vie humaine pour chercher des solutions meilleures ; elle nous aura révélé ce que nous paraissions ignorer :