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causa une grande inquiétude parmi la foule et même parmi les acteurs, qui crurent devoir se retirer. On s’empressa de courir aux ruines et de porter secours à ceux que l’on supposait y être enterrés ; mais ils étaient déjà dégagés sans aucun mal du milieu des décombres, en gens habitués à ces sortes d’accidens.

Ces drames produisent un effet extraordinaire sur la multitude, qui s’y presse chaque jour avec une curiosité passionnée, et qui obtient souvent qu’on prolonge les représentations bien au-delà des dix jours rigoureusement accordés pour la célébration de ces fêtes. Ce sont de vrais poèmes que ces tazièhs qu’on récite devant une foule religieusement attentive. Quelques passages qui nous en furent traduits nous parurent pleins de sentiment et d’énergie. Les acteurs les chantent et les déclament avec une accentuation éloquente, et les gestes qui accompagnent leur déclamation agissent vivement sur les auditeurs, qui répondent aux strophes les plus pathétiques par des sanglots déchirans. Pendant l’époque consacrée à ces fêtes, les gens dévots s’imposent de rudes pénitences : ils ne vont point au bain, ils s’abstiennent de voyager et ne s’occupent point de leurs affaires. Quelques jours avant et après cette époque, les hommes les plus fanatiques, ou ceux qui ont quelque grande pénitence à faire, parcourent la ville en chantant les louanges d’Ali et en se meurtrissant la poitrine. Quelques-uns se traversent les chairs avec des broches de fer, et nus jusqu’à la ceinture, couverts de plaies volontaires, ils excitent la compassion en montrant leurs hideuses blessures ; d’autres, armés de pied en cap, teints de sang, le visage noirci, imitent Husseïn, ses combats et ses souffrances dans le désert, où les traditions rapportent qu’il eut à endurer une chaleur et une soif accablantes. Pendant la durée des tazièhs, grace à l’intervention de l’envoyé français et au rôle de protecteur qu’on lui reconnaît alors fort à propos, on témoigne les plus grands égards aux Européens ; mais les Turcs et en général les sunnites de toute nation ne sont pas traités de même et ne sauraient agir avec trop de circonspection, tant que cette fatale période n’est pas écoulée, car si par malheur l’un d’eux donnait prétexte à quelque plainte, il courrait danger de mort. La populace, exaltée par le souvenir de la fin tragique de Husseïn et de Hassan, ne connaîtrait plus de frein ; surexcitée par le spectacle récent de leur martyre, elle immolerait sans pitié le malheureux sunnite en expiation du meurtre commis, il y a plusieurs siècles, par les fanatiques compagnons d’Omar. Les Persans ne négligent rien d’ailleurs pour exciter le fanatisme musulman et pousser à bout la patience de la secte rivale. Ils ne lui épargnent aucune injure, aucun outrage ; ils vont jusqu’à former une image grossière qui, sous les traits les plus hideux, représente Omar ; puis, s’adressant à la statue maudite, ils l’invectivent et lui reprochent d’avoir dépouillé la famille d’Ali de son droit de suc-