Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/988

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restreinte qu’elle soit, ne pouvant réussir qu’à la condition d’innombrables irrigations, est une seconde et notable cause de diminution dans les cours d’eau. Enfin toutes les rivières qui ne vont pas à l’une des mers limitrophes de la Perse, ou qui ne se jettent pas dans les fleuves, se répandent dans des plaines immenses, où, ne trouvant pas d’issue ni de pente pour s’écouler, elles se perdent dans les terres, où se vaporisent sous les rayons ardens du soleil.

Après un jour passé à Guez, nous prîmes la route d’Ispahan, et nous ne tardâmes pas à rencontrer une troupe considérable de cavaliers qui venaient à notre rencontre. Ceux qui marchaient en avant portaient de riches costumes ; à leurs magnifiques robes de cachemire, jetées par-dessus de petites redingotes à la mode franque, nous les reconnûmes pour des personnages d’un rang élevé. C’étaient des châhzâdèhs que le roi envoyait pour complimenter de sa part l’elchi-bey[1] ; ils s’acquittèrent de leur mission en termes très gracieux, et nous débitèrent des complimens parfaitement tournés, sur le bonheur que l’Irân éprouvait d’avoir pour hôte l’ambassadeur du roi de France. Conduits par les châhzâdèhs, nous arrivâmes à des tentes dressées sur le bord de la route, et à l’entrée desquelles les princes nous firent mettre pied à terre. Dans ces tentes, on avait étalé des tapis et des coussins où nous prîmes place autour de plusieurs plateaux chargés de friandises. Quand nous fûmes tous rangés en cercle, les complimens recommencèrent de plus belle, et l’on fit circuler en même temps les pâtisseries, le thé, le café, les kalioûns (espèces de pipes) ; puis nous remontâmes à cheval, escortés des princes et de plus de trois cents cavaliers. Au fur et à mesure que nous avancions vers la ville, la foule grossissait, et les piétons se mêlaient aux chevaux. Les goulams qui ouvraient la marche avaient beaucoup de peine à frayer un passage à notre cortège, qui produisait un effet très imposant.

Ce fut ainsi pressés et entourés par les gens du châh que nous arrivâmes aux portes d’Ispahan. Tous les détails des scènes variées qui succédèrent sous nos yeux pendant cette marche très lente à travers une des plus magnifiques villes de l’Orient sont restés gravés dans ma mémoire. Ispahan déroulait devant nous la longue ligne de ses constructions basses, dominées çà et là par quelques dômes aux minarets émaillés. Des groupes d’arbres clair-semés ajoutaient par intervalles leur verdure aux tons de ce tableau, qui avait pour fond de grandes montagnes âpres et sévères dont les flancs d’un bleu sombre faisaient merveilleusement ressortir la ville toute lumineuse. À la première porte d’Ispahan, nous rencontrâmes, au milieu d’un concours immense de peuple, une escouade d’officiers royaux, les nazaktchis du

  1. Titre de l’ambassadeur en langue du pays.