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son âge mûr son style rappelait celui de Junius, quoique dans ses ouvrages avoués il ne l’ait jamais égalé. Ce dernier point est même contesté par quelques critiques, et lord Brougham, qui d’ailleurs admire assez froidement Junius, n’hésite pas à mettre au niveau de ses morceaux les meilleurs divers fragmens des discours ou des écrits de Francis choisis avec goût. Cependant il faut reconnaître chez l’un et l’autre un talent du même genre plutôt qu’un talent du même ordre.

Le lecteur aura remarqué qu’au moment où la question se posa sir Philip Francis était encore vivant. Il mourut cinq ans après que Taylor l’avait mis en cause, et lord Brougham, qui écrivait en 1817, voyait une preuve en faveur de son hypothèse dans cette circonstance même. « Si Junius était mort, disait-il, il serait connu. Il eût laissé après lui quelque trace de son passage. Le silence gardé jusqu’aujourd’hui prouve qu’encore aujourd’hui ce silence est nécessaire. Il ne peut l’être qu’à Junius lui-même. » Cet argument a perdu sa force ; mais du temps qu’il était hon, et que sir Philip vivait, quoi de plus simple que de l’interpeller directement ? Avant de rien publier, Taylor lui avait fait demander s’il avait objection à ce que son nom figurât dans une telle investigation ; la réponse fut : « Vous êtes en toute liberté d’imprimer ce que vous jugerez convenable, pourvu qu’il ne soit porté aucune atteinte à mon caractère privé. » Mais voici qui est plus singulier. Le rédacteur du Monthly Magazine, voulant rendre compte de l’ouvrage de Taylor, prit le parti d’écrire à sir Philip pour lui demander ce qui en était, et il reçut le billet suivant :

« Monsieur, la grande civilité de votre lettre me détermine à y répondre, ce que j’aurais décliné, s’il se fût agi purement du sujet qu’elle concerne. De savoir si vous aiderez, en lui donnant de la publicité, à une sotte et malveillante fausseté (a silly malignant falsehood), c’est une question laissée à votre propre discrétion. Pour moi, c’est chose d’une parfaite indifférence. » Cette dénégation, si c’en est une, persuada sir Richard Phillips, qui l’avait provoquée ; mais elle ne produisit pas généralement un effet aussi décisif, et elle est restée elle-même un texte à interpréter et l’origine de nouveaux doutes. Elle n’a pas dissuadé la Revue d’Édimbourg. Pendant long-temps, dans la société des anciens whigs, dans le salon du dernier lord Holland, dans celui du marquis de Lansdowne, on a admis comme fondée, ou la plus fondée, l’opinion soutenue dans ce recueil, qui, en 1840, racontait encore cette anecdote : « Lorsqu’on 1817 M. Brougham, à la chambre des communes, exprima son opinion très arrêtée touchant le caractère de Wilkes, et la honte que sa popularité jeta pendant un temps sur le peuple anglais… sir Philip Francis lui fit le jour suivant, devant quelques amis, de fortes remontrances pour avoir dit quelque chose qui tendait à déprécier un homme poursuivi par la cour. Il regardait