Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1025

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturellement. Quel peut être l’avenir de cette idée d’annexion sous laquelle la race anglo-américaine cache l’ardeur de ses convoitises et son esprit d’envahissement ? Quels sont les élémens de durée possible pour la suprématie de l’Espagne sur sa riche et seconde possession ? et avant tout, cette île de Cuba elle-même, tour à tour l’envie et le point de mire de l’Angleterre et des États-Unis, quelle est-elle ? quelle sociabilité y domine ? quels symptômes dévie morale et intellectuelle s’y développent ? quels intérêts s’y agitent ? Des voyageurs ont dès long-temps laissé pressentir quelques-uns des mystères de ce monde intertropical. Une femme d’esprit, Mme Merlin, publiait, il y a quelques années, un livre, — la Havane, — d’une observation vive et pénétrante, consacré surtout à décrire la vie et les mœurs de Cuba, mais dont la forme ingénieuse et familière ne déguise nullement ces graves questions qui se remuent au fond de la société cubanaise et constituent son originalité. Cet ensemble de questions, qu’est-ce autre chose que le problème même de la civilisation se débattant sur un des points du monde les plus favorisés du ciel, dans des conditions de mœurs et de races particulières et avec des circonstances propres que servent parfois à éclairer des incidens d’une brutalité étrange, comme l’invasion de Narcisso Lopez ?

Cuba, on le sait, est un des derniers et des plus magnifiques débris restés à l’Espagne de cet immense empire colonial qu’elle possédait dans le Nouveau-Monde. Placée à l’entrée du golfe du Mexique comme pour donner la main à l’Amérique du Nord et à l’Amérique du Sud, équivalant par son étendue à un royaume, dominant les Antilles par la beauté et la fertilité de sa nature, on peut se demander comment elle est restée si long-temps dans une sorte d’obscurité. Il n’y a qu’une raison à en donner pour l’Espagne : c’est l’embarras de ses richesses et de ses domaines. L’Espagne avait le Mexique, le Pérou, Buenos-Ayres, tout ce continent aujourd’hui subdivisé en républiques en ébullition et en dissolution. Cuba a dû peut-être à sa situation insulaire de ne point tomber dans l’abîme d’anarchie où se débattent la plupart des républiques continentales : elle a dû à cette situation de suivre un développement particulier au bout duquel, après tout, si elle n’a pas acquis le droit déjouer à l’indépendance, de simuler tous les actes de la souveraineté politique, elle a trouvé du moins une prospérité matérielle qui égale presque celle des États-Unis. Cette prospérité éclate dans l’accroissement singulier de la population et de la production, dans l’élévation progressive du niveau de sa civilisation agricole et industrielle. Elle a son principe dans la libérale mesure par laquelle la métropole brisait, au commencement de ce siècle, le vieux monopole commercial de Cadix, de Barcelone et de Santander, et ouvrait les ports de la colonie au commerce universel. La liberté commerciale est l’unique conquête, l’unique signe d’indépendance acquis par Cuba dans les révolutions contemporaines. politiquement, Cuba est restée dans la