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Matanzas; des octaves sur l’Utilité du Travail, qui prouvent qu’il n’entrait rien de démocratique, au point de vue ordinaire, dans l’ame de Placido. Le mérite de ces vers n’est point la correction, c’est plutôt le mouvement d’inspiration qui s’y fait sentir et une certaine saveur d’originalité qui s’en dégage parfois. « Ce sont des fleurs d’un génie sans culture, dit le poète lui-même, semblables à celles des campagnes de ma patrie, riches de parfums, de teintes et d’éclat. » Placido a chanté le Pan en termes presque magnifiques, qui peuvent donner l’idée de ce que devient le sentiment des beautés naturelles dans la poésie cubanaise.


« Sentinelle du golfe mexicain qui brilles comme un gigantesque autel élevé par la main de Dieu au-dessus des flots écumeux, superbe Pan, couronné de cannes dont les feuilles frémissantes semblent répéter dans leur murmure l’hymne que te jetait un illustre proscrit en s’enfuyant sur son rapide esquif, salut, montagne féconde, dernier témoin d’un temps qui n’est plus, confidente d’une histoire ignorée qui s’est perdue dans les ombres mystérieuses! Les vivans d’autrefois qui peuplaient tes massifs épais sortent aujourd’hui encore sans doute, comme les fées, à la clarté de la lune. Parmi les sveltes palmiers, leurs ombres se réunissent pour s’entretenir de ce qu’elles furent. Elles portent des carquois dorés, et leur tête s’environne de plumes blanches et rouges du tocoloro. Elles courent, folâtrent, se séparent et se rejoignent encore pour chanter leurs amours ou pleurer leurs infortunes. Ainsi ces beaux fantômes te saluent et te fêtent la nuit, jusqu’à ce que l’aube, blanchissant l’orient, annonce le retour du soleil : alors elles s’envolent rapides, disparaissent dans l’immensité, et on n’entend plus que leur écho qui répète : Cuba!... Cuba!... »


Il y a assurément dans ces vers de Placido quelque chose d’étrange qui ne saurait être reproduit, et qui dénote de la part de ces poètes d’outre-mer un effort permanent pour atteindre à l’originalité en ne se servant que d’élémens locaux. La direction et le but de ce travail peuvent se résumer en un mot : « Orner d’un tour espagnol une pensée née cubanaise. » On ne saurait énoncer plus brièvement une poétique plus juste.

Mais le difficile est de trouver cette pensée nationale, en quelque sorte, que la plupart des poètes cubanais poursuivent, et dont bien peu paraissent se faire une idée exacte. Il ne suffit point évidemment d’accumuler dans des vers des noms d’oiseaux et d’arbres inconnus, de multiplier les parfums, les teintes et les couleurs, de reproduire, en un mot, les détails extérieurs d’une nature merveilleuse. L’originalité ne s’acquiert pas à si peu de frais. La difficulté est d’autant plus grande aujourd’hui peut-être, que les influences étrangères s’emparent facilement de ces imaginations mobiles. L’action de ces influences paraît surtout sensible dans un jeune poète de talent dont les œuvres ont été récemment publiées à la Havane avec un soin typographique digne de l’Europe, — don José Jacinto Milanès. Le