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romantisme français déteint visiblement dans les poésies de Milanès. Il n’en faudrait pour preuve que cette recherche de sujets scabreux qui se manifeste dans des morceaux tels que le Mendiant, le Bâtard, la Fille du Pauvre, la Prison, la Ramera, ou, en d’autres termes, la fille de joie. Les déclamations et les peintures humanitaires que nous connaissons se retrouvent dans ces fragmens poétiques. Il en résulte que c’est une pensée française, et non une pensée émanée de la vie morale de Cuba, qui s’enveloppe ici de la forme espagnole. Quelques autres pièces de Milanès offrent plus d’intérêt et d’originalité. Un sonnet sur l’Hiver à Cuba laisse une impression singulière. « Le soleil brille avec douceur, le ruisseau court débordé. Pas une feuille, pas un rameau ne manque au mango gracieux. Le vert de la mer est plus beau, l’azur du ciel plus sombre. Tout est repos; l’esprit est rafraîchi, le cœur heureux : telle est à Cuba la saison d’hiver. Le guajiro monte à cheval et fait le tour de ses prairies en se promenant et sans fatigue : le taureau mugit d’amour et non de colère; le zorzal siffle et sautille, et l’esclave chante sans s’inquiéter de rien, en admirant tout! » La Guajirita de Yumuri est une des plus charmantes compositions de Milanès. La jeune guajira attend son amant, don Eugenio, qui est allé à Matanzas. Le jour passe, l’aube suivante renaît, la guajirita attend toujours. Tout à coup, dans un nuage de poussière, elle entrevoit un cheval rapide : ce n’est point don Eugenio. C’est un beau noir caravali qui porte une lettre à la jeune fille. Eugenio s’est marié à la ville avec une vieille femme riche, et la guajirita meurt lentement consumée par son amour. Nous ne saurions donner que le squelette de ce petit récit. En général, un certain art de combinaison, un certain mouvement se fait sentir dans les poésies de Milanès; c’est l’indice d’un talent dramatique plutôt que lyrique. Aussi le jeune poète a-t-il cherché le succès au théâtre, et il l’a obtenu, assure-t-on, surtout par un drame, — le Comte Alarcos, — dont le sujet est tiré de la vieille poésie castillane. On se souvient peut-être de cette tragique légende du comte Alarcos, qui tue sa femme pour obéir à son roi. L’erreur du poète cubanais a été, sous le prétexte d’introduire dans son œuvre un sens philosophique et moral, de faire subir à la donnée qu’il avait choisie une de ces transformations qui en dénaturent le caractère primitif.

C’est là, au surplus, ce qu’on peut remarquer dans le plus grand nombre des tentatives qui se produisent au théâtre, à Cuba. Les essais dramatiques abondent; les sujets sont habituellement puisés dans les traditions anciennes de l’Espagne. Il y a des Pierre de Castille, des Gonzalve de Cordoue, des Bernard del Carpio, des Blanche de Navarre, des Macias; mais ce sont des traditions transportées et interprétées sous un autre ciel, dans une atmosphère morale différente, et par de jeunes esprits qui semblent en avoir perdu le sens. Les poètes cubanais