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changent tout à coup une population entière en maniaques ; peu s’en est fallu qu’il ne fût obligé de prendre aussi part à cette danse générale. Passe pour un Français, aurait-il dit sans doute.

M. Bruë a fait la relation d’une fête consacrée à la revue des troupes et à l’exposition des richesses contenues dans le trésor royal. Guezo avait fait placer notre compatriote en face de lui. Ce chef était couvert d’une robe en damas cramoisi ; il avait la tête nue et portait aux pieds des sandales ornées de corail ; il était assis sur un riche sopha ; une négresse tenait à son côté une ombrelle de velours doublée en satin blanc. A droite du roi était le minga (premier ministre) entouré des cabocirs : tous étaient sous leur parasol et portaient le grand costume de fête, composé d’une tunique courte de soie et de pantalons de même tissu s’arrêtant aux genoux. Ils avaient à l’avant-bras un large bracelet fait avec une plaque d’or ou d’argent. A gauche était le mehou (deuxième ministre), entouré d’un nombre égal de cabocirs vêtus de la même manière. Une troupe de musiciens faisait entendre une harmonie où se mêlaient les sons de différentes espèces de tambours, de trompes en dents d’éléphans, d’une sorte de fifre et de cloches en fer. Le défilé commença. Chaque chef marchait à la tête des siens, précédé de sa bannière et couvert de son parasol. A la suite des troupes venaient les femmes du roi portant divers objets. Quelques-unes traînaient des voitures ; d’autres des chevaux en bois de grandeur naturelle, des meubles, des vases, des glaces, des chaises à porteur, des orgues de barbarie et une foule d’ustensiles d’origine européenne. Derrière les femmes s’avançaient les eunuques, puis des hommes portant les trophées conquis dans les razzias : des armes, des casques, des verroteries, des boucliers enrichis de têtes de mort, des pagnes, etc. Le cortège était terminé par un groupe de soixante hommes. On dit à M. Bruë que c’étaient des anthropophages dont les ancêtres avaient été amenés en captivité sous les premiers rois du Dahomey et dont la race avait été conservée par leurs successeurs. On avait eu soin de leur donner des femmes esclaves. « On se sert de ces antropophages, ajoutait M. Bruë, lorsque le roi condamne un chef ennemi à être mangé ; la victime est alors garrottée et voit faire les apprêts de la chaudière où elle doit être plongée. Parmi eux, je remarquai un vieillard dont la longue barbe était d’une blancheur éclatante ; il portait attachée à son cou une petite calebasse dans laquelle il buvait le sang des victimes humaines quand le roi le lui ordonnait. Les fonctions de cet homme contrastaient singulièrement avec sa physionomie patriarcale. »

Pendant son séjour dans la capitale du Dahomey, M. Forbes n’a

point aperçu ce groupe monstrueux et n’en a pas même entendu parler. Guezo, plus éclairé et plus intelligent que ses prédécesseurs, a-t-il aboli cette odieuse exhibition ? a-t-il cru seulement devoir dérober