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été confiée, d’après son avis, à l’un de ses membres, M. le lieutenant de vaisseau Bouët, a ce développement pour objet. Nous avons confiance qu’elle réussira. Guezo n’a rien à redouter de la France, et les circonstances dans lesquelles il se trouve après sa défaite doivent l’avoir rendu plus accessible à nos conseils, où l’ambition n’entre pour rien. Ce serait toutefois entretenir une illusion que de croire ce chef barbare disposé à renoncer immédiatement au trafic lucratif des esclaves. Il va réparer ses forces, réorganiser son armée, et l’an prochain des troupes fraîches introduites dans les cadres des vétérans seront lancées, soit contre Abeo-Kutah, soit contre toute autre cité. Pendant long-temps encore il faudra maintenir les mesures de répression adoptées par les nations civilisées, pendant long-temps encore l’immorale et odieuse traite des nègres excitera l’avidité de traitans indignes du nom de chrétiens. Comment expliquer la persistance audacieuse des négriers ? Telle est la question qui se pose à tout Européen de retour de l’Afrique occidentale : on ne peut y répondre qu’en examinant quelles sont aujourd’hui les ressources de la traite, quels sont les moyens employés pour y mettre obstacle.

Trois mannes surveillent incessamment la côte d’Afrique : l’Angleterre y entretient plus de vingt bâtimens ; la France, une douzaine ; les États-Unis, deux. Les deux stations de France et d’Angleterre sont composées de bateaux à vapeur et de bricks. Les steamers longent les côtes, inspectent l’embouchure des rivières et cherchent à surprendre les négriers au mouillage. Les bricks se tiennent au large, attendant l’instant de développer leurs ailes pour fondre à l’improviste sur les navires de traite. Du plus loin qu’ils aperçoivent un bâtiment suspect, ils lui font le signal de mettre en panne, en tirant un coup de canon à poudre. Quand le vent favorise le négrier, il fuit, et la chasse commence, chasse ardente, où le sentiment du devoir d’un côté et l’instinct du salut de l’autre sont stimulés par l’amour-propre. Il y a souvent des navires négriers taillés pour la course qui échappent à la poursuite des croiseurs. Il y en a d’autres, c’est le plus grand nombre, qui sont le rebut de toutes les marines et à peine en état de faire la traversée. Ceux-ci n’ont aucune chance de se soustraire aux bâtimens de guerre qui les menacent. Pour eux, être vus, c’est être pris. Il est extrêmement rare que les équipages des négriers cherchent à faire résistance. Lorsque tout espoir de se dérober par la fuite est perdu, ils mettent en panne et attendent l’événement. De son côté, le croiseur arme des embarcations et les dirige vers le bâtiment suspect, sous la conduite d’un officier qui monte à bord de ce bâtiment avec une escorte. Celui-ci s’empare du navire, et tantôt il dépose l’équipage à terre, tantôt il le transborde sur le croiseur ; puis il s’oriente vers le port le plus voisin. Il arrive parfois qu’une partie de l’équipage capturé