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ques lignes, et l’exemplaire-type fut confié à la garde de Hafsa, fille d’Omar, l’une des veuves de Mahomet. Une seconde récension eut lieu sous le khalifat d’Othman. Quelques variantes d’orthographe et de dialectes s’étant introduites dans les exemplaires des différentes provinces, Othman nomma une commission de grammairiens chargée de constituer définitivement le texte d’après le dialecte de la Mecque ; puis, par un procédé très caractéristique de la critique orientale, il fit recueillir et brûler tous les autres exemplaires pour couper court aux discussions. C’est ainsi que le Coran est arrivé jusqu’à nous sans variantes bien importantes. Certes, un tel mode de composition est fait pour inspirer quelques scrupules. L’intégrité d’un ouvrage long-temps confié à la mémoire nous semble assez mal gardée. Des altérations et des interpolations n’ont-elles pu se glisser dans ces révisions successives ? M. Weil, le premier, a élevé des doutes sur tous ces points, et soutenu que la récension d’Othman ne fut pas purement grammaticale, comme le veulent les Arabes, mais que la politique y eut sa part, surtout en vue de rabattre les prétentions d’Ali. Toutefois le Coran se présente à nous avec si peu d’arrangement, dans un désordre si complet, avec des contradictions si flagrantes, chaque morceau porte une physionomie si spéciale, que rien ne saurait attaquer le caractère général d’authenticité de ce livre. Nous avons donc l’immense avantage d’avoir pour l’islamisme les pièces mêmes de son origine, pièces très suspectes assurément, et exprimant beaucoup moins la vérité des faits que les besoins du moment, mais en cela même précieuses aux yeux du critique qui sait les interpréter. C’est sur cet étrange spectacle d’une religion naissant au grand jour, avec pleine conscience d’elle-même, que je voudrais appeler un moment l’attention des penseurs.


I.


La critique, en général, doit renoncer à rien savoir de certain sur le caractère et la biographie des fondateurs de religion. Pour eux, le tissu de la légende a entièrement couvert celui de l’histoire. Étaient-ils beaux ou laids, vulgaires ou sublimes ? Nul ne le saura. Les livres qu’on leur attribue, les discours qu’on leur prête, ne sont d’ordinaire que des compositions plus modernes, et nous apprennent beaucoup moins ce qu’ils étaient que la manière dont leurs disciples concevaient l’idéal. La beauté même de leur caractère n’est point à eux ; elle appartient tout entière à la nature humaine, qui les fait à son image. Transformée par cette force incessamment créatrice, la plus laide chenille pourrait devenir le plus beau papillon.

Il n’en est point de même pour Mahomet. Le travail de la légende est resté, autour de lui, faible et sans originalité. Mahomet est réelle-