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ne s’est élevée, et jamais peut-être l’islamisme n’a été aussi fort que de nos jours. La foi est l’œuvre du temps, et le ciment des édifices religieux se durcit en vieillissant.


II.


La nature humaine, dans son ensemble, n’étant ni entièrement bonne, ni entièrement mauvaise, ni tout-à-fait sainte, ni tout-à-fait profane, c’est pécher également contre la critique que de prétendre expliquer les mouvemens religieux de l’humanité par des passions et des intérêts individuels, ou par l’action exclusive d’une intime génialité religieuse. Il faudrait manquer absolument du sentiment historique pour supposer qu’une révolution aussi profonde que l’islamisme ait pu s’accomplir par quelque adroite combinaison, et Mahomet n’est pas plus explicable par l’imposture et la ruse que par l’illuminisme et l’enthousiasme. Aux yeux du logicien, se plaçant au point de vue des abstractions et opposant l’une à l’autre comme des catégories absolument distinctes le beau et le laid, le vrai et le faux, il n’y a pas de moyen terme entre l’imposteur et le prophète. Aux yeux du critique, se plaçant dans le milieu fuyant et insaisissable de la vie, rien n’est pur de ce qui sort de l’homme ; tout porte, à côté du sceau de la beauté, sa scorie originelle. Qui peut dire la ligne qui sépare, dans ses propres sensations morales, l’aimable du haïssable, la niaiserie de la beauté, la vision angélique de la vision satanique, et même, dans une certaine mesure, la joie de la douleur ? Les religions étant les œuvres les plus complètes de la nature humaine, celles qui l’expriment avec le plus d’unité, participent plus que toute autre chose à la complexité de cette nature et excluent les jugemens simples et absolus. Vouloir appliquer avec fermeté à ces apparitions capricieuses les catégories de la scolastique, les juger avec l’aplomb du logicien traçant une ligne profonde entre la sagesse et la folie, c’est en fausser la nature. Tout s’alterne comme en un fantastique mirage dans ce grand sabbat de toutes les passions et de tous les instincts, dans ces nuits de Walpurgis de l’intelligence humaine. Le saint et l’infame, le charmant et l’horrible, l’apôtre et le jongleur, la vierge et le bourreau, le ciel et l’enfer s’y succèdent comme dans les visions d’un sommeil troublé, où toutes les images cachées dans les replis de la fantaisie humaine apparaissent tour à tour.

J’ai longuement insisté sur l’infirmité native de l’islamisme ; il y aurait injustice à ne pas ajouter que rien ne résisterait à l’épreuve que nous pouvons lui faire subir. Quel prophète tiendrait contre la critique, si la critique le poursuivait, comme celui-ci, jusque dans son alcôve ? Heureux ceux que couvre le mystère, et qui combattent contre la critique retranchés derrière le nuage ! Peut-être aussi notre siècle