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parce qu’elle ne lui trouve pas un esprit assez positif, et en vérité l’oncle et la fiancée n’ont point tout-à-fait tort. Sa fiancée, devenue sa femme, pourrait bien, avec un tel mari, manquer souvent du comfort si cher à tout cœur anglais, sans compter qu’elle courrait risque d’être trop souvent abandonnée pour les premières billevesées qui viendraient à se présenter. Archer n’a aucune idée des biens véritables: une femme, des amis, des richesses ne valent pas à ses yeux une théorie ou une déclamation, et lui qui parle tant du bonheur n’en connaît pas les élémens. Il n’est fait ni pour le mariage, ni pour le travail, ni même pour l’étude; il est fait pour l’inquiétude et la rêverie. C’est donc, pour employer le langage socialiste, un être parasite au sein de la société; son existence est inutile et s’écoule sans profit pour lui et pour ses semblables. Archer est un socialiste dans toute l’acception du mot, car il est à remarquer que ces docteurs qui veulent débarrasser la société de tout ce qui leur paraît inutile sont eux-mêmes les plus inutiles et les moins productifs des hommes. Son existence est sans but et sans méthode; elle est vagabonde, et ne se propose aucun port lointain où elle puisse s’abriter un jour. Quant à l’éducation qu’il voudrait donner à Harding, aux lectures qu’il lui conseille, elles sont contraires à l’esprit naturel des classes populaires; ce sont des lectures d’oisif et de rêveur qu’il lui indique, non des lectures de travailleur. que penser de sa recommandation de lire avant tout autre livre les sonnets et les poésies de Wordsworth, de Wordsworth que nous, lettrés, nous ne comprenons point toujours? Wordsworth est la première lecture qu’Archer prescrive à Harding; il lui défend formellement la lecture de Shakspeare et de Milton, qu’il réserve pour l’avenir. La raison de cette défense nous échappe absolument. Si Harding le travailleur a l’esprit droit et une nature saine, s’il n’a pas été gâté par les lectures matérialistes et les écrits chartistes, s’il est naïf et n’est pas raisonneur, il comprendra bien vite Shakspeare et Milton; mais comment M. Horne, qui est pourtant un littérateur et un critique, n’a-t-il point vu que, pour comprendre Wordsworth et toute la bande de poètes mystiques qui se rapprochent de lui, il faut avoir pour ainsi dire épuisé la nature, et que cette poésie, malgré la réalité pénétrante de ses peintures, est le supernaturalisme dans l’art? Un esprit quintessencié, sophistiqué, pourra retrouver dans les vers de Wordsworth bien des lueurs qu’il croyait à jamais éteintes pour lui : ces vers pourront le mettre sur les traces de bien des croyances perdues; mais un lecteur d’un esprit simple, croyant et naïf, lira sans profit ces admirables œuvres. C’est pour la guérison de nos maladies, à nous sceptiques voltairiens, lettrés, artistes, que ces poèmes ont été écrits, et non pour ceux qui n’ont rien perdu de leur simplicité première. Quant aux hommes du peuple qui ont perdu leurs croyances en la Bible et en l’Évangile, qui sont devenus raisonneurs et mécréans,