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autant vaut qu’ils continuent à lire leurs pamphlets chartistes : ils en tireront autant de profit que des œuvres du religieux et profond Wordsworth. Jugez par ce seul exemple des bons conseils que le rêveur peut donner au travailleur, ils sont tous de la même inutilité et témoignent du même faux jugement. La seule réflexion que suggère à l’esprit cette éducation, c’est que, si les travailleurs étaient déterminés à se fausser l’esprit, ils n’auraient qu’à s’adresser aux rêveurs.

Le livre de M. Horne est non-seulement faux, il est froid et sec. Il est difficile et même il est dangereux d’affirmer que l’auteur d’un livre n’avait pas les qualités requises pour l’écrire. Cependant nous croyons pouvoir dire que M. Horne ne paraît pas avoir une bien grande connaissance des sujets qu’il traite et des hommes qu’il essaie de mettre en scène. Je vois bien qu’il y est question du peuple, des prolétaires; mais, comme je n’y rencontre aucun trait de caractère véritable, j’en conclus que l’auteur a peu fréquenté les gens du peuple et qu’il les connaît pour en avoir entendu parler. Çà et là nous rencontrons de tristes expressions, les mots d’ateliers, de repaires malsains, de logemens infects, de chaumières délabrées; mais, comme ces expressions ne sont accompagnées d’aucun commentaire saisissant, nous en concluons que M. Horne n’a pas en lui une assez grande force de sympathie pour avoir visité souvent ces réduits misérables. En un mot, ce livre n’a pas d’entrailles; il est écrit par un littérateur pour un public littéraire, celui du Douglas Jerrold’s Magazine, et à la plus grande gloire des journalistes modernes. Même sous le point de vue littéraire, ce roman n’a pas de valeur réelle : mal composé, mal construit, faiblement écrit, sans plan, sans but, sans personnages, c’est un de ces livres qui donnent raison à ce mot d’Hazlitt sur la littérature anglaise : « Ce qui est bon dans la littérature anglaise est excellent; ce qui n’est pas entièrement bon est entièrement détestable. » Et en effet, si le livre eut été écrit par un Français, il eût été plus habile, mieux fait, plus lisible; il n’est pas un de nos phalanstériens qui n’eût beaucoup mieux réussi. On a peine à comprendre certains passages; si loin que l’excentricité anglaise puisse aller, il est difficile de se figurer qu’elle atteigne à certaines bouffonneries dont nous entretient l’auteur. Il y a dans le roman de M. Horne des écoles mécaniques où, pour discours d’ouverture, on lit une apologie de la toute-puissance du magnétisme animal et des progrès de cette science; des compagnies pour la pêche, qui, pour inaugurer leurs opérations commerciales, donnent une représentation théâtrale et ont le bon goût de choisir la détestable pièce attribuée à Shakspeare et intitulée Titus Andronicus! Ou bien ces excentricités sont des inventions de l’auteur, et alors elles sont un triste témoignage de son imagination, ou bien elles sont des faits réels, et alors ces faits sont assurément très rares et purement accidentels, par conséquent sans importance. M. Horne se