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soutient de ses lectures, et il s’en souvient maladroitement; il imite, mais il imite mal; il essaie d’exprimer les idées de Carlyle sur la révolution française, et il ne réussit qu’à les fausser; il a lu, on le voit trop, tous les grands écrivains de son pays et même les écrivains étrangers, Mme Sand, par exemple. Il a essayé de transporter dans son roman le personnage de Trenmor, et il a poussé l’imitation jusqu’à nous donner une contrefaçon des adieux de Sténio et d’Edméo sur la colline. M. Horne a écrit un poème intitulé Orion, que nous avouons n’avoir pas lu; nous aimons à croire que ses vers sont supérieurs à sa prose, et nous sommes porté à le penser par les échantillons de son talent poétique qu’il a disséminés dans son livre. Nous traduirons trois strophes qui ont à elles seules, grâce au rhythme et à la nécessité de la précision, plus de profondeur de sentiment et plus de force de sympathie que les huit cents pages du roman de M. Horne. Voici ces strophes :


« Lorsque le temps était jeune, d’une main prodigue il répandait de tous côtés les sables de la vie; il était sourd aux soupirs et aux gémissemens; les yeux levés vers les astres, le temps, lorsqu’il était jeune, pensait que les hommes étaient des pierres.

« A mesure que le temps devint vieux, il passa près de nos tombeaux avec une physionomie pensive, et, regardant en lui, il y vit en germe des moissons et des espérances encore inconnues, à mesure qu’il devint plus vieux.

« Salut, ô temps ! enfant à barbe grise; la protection et les faveurs de la véridique sagesse te rendront plus jeune que les astres, et feront briller ta figure d’une nouvelle et glorieuse jeunesse. Salut, temps toujours jeune! »


Ces strophes, sans avoir rien de bien sublime, expriment parfaitement et avec beaucoup de sympathie la différence qui sépare l’impétuosité barbare et l’indifférence mystique des époques antiques des sentimens de poignante sollicitude qu’apportent les sociétés modernes dans la contemplation des souffrances humaines.

Le Travailleur et le Rêveur nous a révélé une prétention et un désir; un autre roman, John Drayton, nous apprend un fait, les ravages du scepticisme parmi les classes laborieuses. Il nous fait suivre les traces de cette épidémie morale dans les couches les plus éclairées, les mieux rétribuées, les plus heureuses des classes populaires. Nous assistons, dans ce livre, au spectacle de la démoralisation, non des prolétaires, mais des artisans. Dans cet atelier de mécanicien où John Drayton fait son apprentissage, pas un ouvrier qui n’ait abandonné la lecture de sa Bible pour la lecture; des journaux chartistes, pas un pour qui l’Evangile du Bon Sens de Thomas Payne n’ait remplacé l’Évangile du Christ. Les lectures de la Bible le soir, au milieu de la famille, sont tombées en désuétude; la femme et les enfans restent seuls auprès du foyer, le mari est à quelque meeting chartiste, à quelque conciliabule révolutionnaire, d’où