Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est remonté jusqu’à la statuaire antique pour ramener la peinture dans la voie de la vérité. M. Ingres. tout en acceptant l’enseignement de David, comprit pourtant qu’il y avait autre chose à faire, et toute sa vie est là pour attester qu’il ne s’est pas trompé. David, en présence de Vanloo et de Boucher, que la multitude saluait de ses applaudissemeus comme le dernier mot de l’art, devait pousser la protestation jusqu’aux dernières limites. M. Ingres, sans renier les doctrines de son maître, a senti que, la protestation une fois faite, il y avait lieu de choisir dans l’histoire de l’art un moment capital et de s’y rattacher. C’est le parti auquel il s’est arrêté, et tous les esprits sincères doivent avouer qu’il a choisi avec discernement. Les Sabines, Léonidas, le Serment des Horaces, suffisent à marquer la place de David. Quoi qu’on puisse penser de la valeur de ces œuvres, il est hors de doute qu’elles révèlent une singulière puissance. M. Ingres, en disciple fidèle, a profité des leçons de son maître. Toutefois il n’a pas tardé à comprendre que l’enseignement de Da, id n’offrait pas le dernier mot de la science ; c’est pourquoi il a consulté l’histoire de son art, et, son choix une fois fait, il a marché d’un pas sûr et persévérant.

La foule est aujourd’hui habituée à considérer l’enseignement de David comme une aberration radicale. Quant aux esprits éclairés, ils savent à quoi s’en tenir. Tout en admettant l’exagération des principes posés par David, il faut bien reconnaître que ces principes ont exercé une action salutaire sur le développement de notre école. Et, pour démontrer ce que j’avance, il me suffit d’étudier sommairement les œuvres que j’ai nommées. Je laisse de côté le Serment des Horaces, qui ressemble trop à un bas-relief. Je prends les Sabines et Léonidas. Certes les Sabines de David sont loin de valoir les Sabines de Nicolas poussin, et, lorsque j’établis cette comparaison, je n’entends pas confondre les sujets des deux tableaux. David a voulu représenter le combat de Romulus et de Tatius, tandis que Nicolas poussin a voulu nous offrir l’enlèvement des Sabines. Toutefois, si l’action n’est pas la même, les personnages n’ont pas changé, et c’est par ce côté seulement que j’entends rapprocher l’œuvre de David de l’œuvre de Nicolas poussin. Tous ceux qui sont habitués à regarder d’un œil attentif l’expression de la pensée humaine confiée à la couleur n’hésiteront pas entre poussin et David. Néanmoins il ne faut pas méconnaître le rare mérite qui recommande l’œuvre de David. Je conviens volontiers que l’Enlèvement des Sabines du poussin, que nous possédons au Louvre et que Girardet a si habilement gravé, domine de bien haut les Sabines de David. Il y aurait pourtant de l’injustice à ne pas proclamer comme évidentes les qualités de premier ordre qui distinguent les Sabines de David. Je passe condamnation sur Romulus et sur Tatius. Je reconnais que le roi des Romains et le roi des Albains sont de pures académies