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c’est-à-dire sans autre éloignement que le diamètre même de la coupole : que signifie un tel argument ? Titien et Corrégc sont des peintres dépravés. Raphaël seul résume toutes les conditions de la beauté ; Raphaël n’est pas moins que la vérité complète, et, pour marcher d’un pas sûr dans le domaine de l’invention, il faut le consulter à toute heure.

Telle est, si je ne me trompe, la doctrine de M. Ingres. C’est à cette doctrine qu’il faut rapporter toutes ses œuvres. Si parfois il s’en est écarté, si. malgré la ferveur de sa croyance, il lui est arrivé de violer les lois qu’il avait acceptées comme supérieures à toute discussion, ces exceptions sont trop peu nombreuses pour qu’il soit besoin d’en tenir compte. C’est au nom de Raphaël que nous devons le juger, et vouloir estimer l’expression de sa pensée au nom de Rubens ou de Rembrandt, au nom de Murillo ou de Velasquez, au nom de Vecelli ou d’Allegri, serait de notre part une souveraine injustice. Nous savons ce qu’il a voulu, nous connaissons le modèle qu’il a choisi dans le passé. C’est donc d’après ce modèle qu’il nous faut l’estimer. Reste, il est vrai, une question qui domine l’histoire entière de l’art : — Est-il sage de vouloir ressusciter le passé ? Est-il glorieux de s’identifier avec une figure, si grande qu’elle soit, dont l’œuvre est accomplie ? pour laisser trace dans l’histoire, n’est-ce pas une nécessité impérieuse de vivre par soi-même, de vivre d’une vie distincte, d’une vie qui n’ait rien à démêler avec le passé ? Cette question n’est pas à dédaigner. Je crois sincèrement que M. Ingres a échoué dans l’accomplissement de son dessein ; je crois qu’il n’a pas réussi à s’absorber tout entier dans le souvenir et l’imitation de Raphaël. S’il représente aujourd’hui quelque chose, s’il doit occuper une place éminente dans l’histoire de l’école française, c’est qu’il n’a pas réussi à réaliser le plan de vie impersonnelle qu’il avait rêvé. S’il eût réussi, il ne serait rien ; c’est pour avoir échoué qu’il mérite l’attention, et j’espère qu’une rapide analyse de ses œuvres établira la vérité de mon affirmation. Sans doute il procède de Raphaël, mais il a plus d’une fois déserté les traces de son maître, et son infidélité lui a porté bonheur.

M. Ingres, dans sa longue et laborieuse carrière, a successivement abordé presque tous les genres. Cependant, pour estimer la valeur de son talent, il suffit de voir comment il a compris les sujets chrétiens et les sujets antiques. Je choisis, parmi les œuvres qui se rapportent à ces deux grandes divisions, quelques morceaux de premier ordre ; après l’étude attentive de ces différens morceaux, il me semble impossible de ne pas saisir nettement la mission que M. Ingres s’est donnée. Dans les sujets chrétiens, je prends le Martyre de saint Symphorien, Saint Pierre recevant les clés des mains de Jésus-Christ, et la Vierge à l’Hostie ; dans les sujets païens, Virgile lisant l’Enéide, l’Apothéose d’Homère et Stratonice. C’est bien peu, sans doute, puisque les œuvres