Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/1138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune héros moissonné à la fleur de l’âge ne lui laisse pas la force d’en entendre davantage. Le poète, témoin de sa douleur, semble partagé entre le respect et l’orgueil. Il s’incline devant cette douleur muette et s’applaudit de son triomphe. Peut-être la douleur de l’impératrice ne se traduit-elle pas avec toute la simplicité que nous pourrions souhaiter ; mais il y a tant de noblesse dans l’affaissement de ce beau corps, que je n’ai pas le courage de chicaner l’auteur sur l’arrangement symétrique de la draperie. Quel que soit le mérite de la naïveté, et je suis loin de le contester, nous sommes habitués à nous représenter les personnages de l’antiquité gardant, au milieu même des plus poignantes émotions, une dignité majestueuse. Aussi je pense que M. Ingres a très bien fait de traiter la douleur de l’impératrice autrement que la douleur d’un personnage moderne. Sans doute, il eût été facile de donner à l’impératrice une pantomime plus énergique ; mais l’énergie pouvait-elle se concilier avec la noblesse des mouvemens ? Il est au moins permis d’en douter ; et j’ajoute qu’elle me paraît contraire à la nature même de la scène que l’auteur a voulu représenter ; car il ne faut pas confondre la douleur d’une femme qui s’évanouit avec le désespoir d’une femme qui garde l’usage de sa raison. Ainsi, tout en admettant que la pantomime de l’impératrice pourrait avoir plus de simplicité, je la trouve cependant très vraie. Quant à l’architecture, elle est traitée avec une richesse qui ne laisse rien à désirer. C’est bien là le palais qui convient au poète et à ses auditeurs. M. Ingres, avec trois mots de Virgile, a composé un tableau pathétique. Or l’émotion est le triomphe de l’art, et je n’ai pas à louer ce qui émeut tous les cœurs délicats.

L’Apothéose d’Homère jouit depuis long-temps d’une légitime célébrité. Tous ceux qui aiment les grandes pensées noblement exprimées s’accordent à reconnaître dans cette composition l’union d’un savoir profond et d’une imagination ingénieuse. M. Ingres a groupé autour du poète divin tous les esprits qui ont puisé à cette source féconde : poètes, musiciens, peintres, statuaires. Je ne veux pas m’arrêter à discuter le choix des personnages ; ce serait un enfantillage. La discussion dût-elle donner tort à l’auteur sur plus d’un point, il ne faudrait pas y attacher trop d’importance. Que l’auteur de la Jérusalem soit quelque peu dépaysé dans le temple d’Homère, c’est une vérité facile à démontrer. Il serait puéril d’insister. Que Dante prenne place entre Phidias et Mozart, à la bonne heure ; car il est de la même famille que le chantre d’Achille. Que Gluck et Shakspeare se trouvent rangés au pied du trône d’Homère, personne ne peut s’en étonner. Il suffit d’ailleurs que la plupart des personnages soient judicieusement choisis. Or, on ne peut contester à M. Ingres le mérite du discernement. Le style de l’Apothéose est vraiment héroïque. Pureté des lignes, grandeur de