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a donné des consolations, j’en suis bien aise pour vous, car c’est une belle personne.

— Il n’en est rien ! s’écria Nino ; je vous le jure par toutes les vagues de la mer, par tous les rochers de Capri. Elle est belle, dites-vous ? Ah ! regardez-vous donc…

— C’est bien ; je vous crois, interrompit Giovannina. Il ne s’agit point de ma beauté. N’allons pas au-delà du sujet de votre visite, et ne gâtez pas vos affaires en me parlant d’amour.

— Pour rien au monde je ne voudrais gâter mes affaires, puisqu’elles sont un peu raccommodées. Je ferai tous mes efforts pour ne point vous parler d’amour ; mais au moins vous me passerez l’ambition de conquérir votre estime. Vous m’avez reproché avec raison d’être un fainéant, de n’avoir pas d’état, de vivre au hasard. Je veux travailler, gagner ma vie, faire fortune, s’il est possible, et plus tard peut-être vous daignerez me dire que je ne suis plus aussi indigne de vous. Encouragez un pauvre garçon bien ignorant, bien mal élevé, rempli de défauts, et qui désire se corriger. Donnez-moi des conseils, je les suivrai. Soyez le bon ange, la madone du pauvre Nino.

— A la bonne heure ! dit la jeune fille ; voilà de bonnes idées, des sentimens honnêtes. C’est bien, Nino ; je suis contente de vous, et je vais tenter quelque chose en votre faveur. Il y a en ce moment à l’hôtel de la Victoire un seigneur anglais qui me porte intérêt, je vous recommanderai à lui ; mais il faut me promettre que, s’il vous emploie à quelque chose, vous serez un serviteur fidèle, assidu et dévoué. Attendez-moi ici ; je vais m’habiller et nous irons après à la Victoire, car le jour baisse, et l’heure du repos est sonnée.

Nino promit tout ce que voulut sa gentille madone ; il s’assit à terre palpitant d’espérance et d’ambition, tandis que Giovannina faisait sa toilette. La jeune fille revint bientôt, parée d’une robe d’indienne à fleurs, coiffée d’un voile de Palerme pour se garantir de la rosée ; à travers un fichu de mousseline, on voyait ses épaules rondes ; son bras blanc orné d’un bracelet de verroterie sortait à demi d’une manche large. Elle portait l’éventail d’un air aisé. Des gants de fil et des brodequins de toile complétaient sa tenue de bourgeoise en habits de ville. Nino crut voir une princesse et répondit en bégayant, lorsque Giovannina lui dit de l’accompagner. Il se tenait derrière la signora, et, durant le trajet, il fallut lui ordonner trois fois d’avancer, s’il ne voulait avoir l’air d’un mendiant qui suit une dame.

L’Anglais était à dîner lorsque Nino et Giovannina se présentèrent à l’hôtel de la Victoire. Le petit lazzarone attendit sous la porte cochère, et la jeune blanchisseuse entra dans la maison. En sortant de table, l’étranger vint fumer un cigare sur la place publique. Nino trembla de tous ses membres en voyant sa protectrice aborder cet homme vêtu