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de noir. Un regard froid et impassible du seigneur inconnu lui figea le sang ; mais un signe amical et un sourire angélique de Giovannina lui rendirent le courage en l’invitant à s’approcher.

— Puisque vous m’assurez, disait l’Anglais d’un ton sec et impérieux, que ce drôle n’est pas votre amoureux, mais seulement un pauvre diable à qui vous voulez procurer de l’emploi, je le prends à mon service, quoiqu’il ait la mine d’un fourbe.

— Votre seigneurie l’intimide, dit Giovannina. Il m’a bien promis de se conduire honnêtement.

— Vous m’en répondez, cela suffit, reprit l’étranger. Je suis encore à Naples pour deux mois. Il me servira. Bonsoir, Giovannina. Revenez dans trois ou quatre jours. Je vous dirai si je suis content de votre protégé.

Giovannina fit une révérence et partit. L’étranger appela un bomme en culotte courte et en cravate blanche que Nino prit pour un ambassadeur : c’était le valet de chambre. Cet bomme échangea quelques mots avec son maître dans une langue dont les sons parurent si comiques an petit Napolitain, qu’il en aurait éclaté de rire s’il n’eût tremblé de crainte. Le valet de chambre conduisit Nino dans l’appartement du seigneur anglais, et, tirant d’une armoire du linge, de vieux habits et des bottes : — Mettez cela, dit-il en italien.

— Quoi ! s’écria Nino, vous me donnez tous ces effets ! Toutes ces bardes m’appartiennent ?

— Sans doute ; vous ne pouvez servir sir John en costume de nageur.

Il fallut aider Nino à se chausser et à s’babiller, car il ne savait comment s’y prendre. À chaque nouvelle pièce qu’il mettait, sa joie éclatait par un déluge de paroles. En se mirant dans la glace, lorsqu’il se vit avec des cols de chemise, un gilet de piqué, une vieille veste de chasse, un pantalon de toile grise, une casquette sur la tête, il crut rêver. L’apparition soudaine du Grand-Turc ne l’aurait pas étonné davantage. Mais, lorsqu’il voulut marcher, il se sentit comme enveloppé d’une camisole de force. Il traînait son admirable chaussure comme un galérien son boulet. Les bretelles surtout le gênaient horriblement. Cependant il ne se plaignit point, de peur qu’on ne lui ôtât ses nippes, et il se résigna doucement à souffrir pour être beau.

— Que dois-je faire, dit-il, pour le service de son excellence ?

— Rien, répondit le valet de chambre. On verra plus tard. Pour le moment, il s’agit de dîner. Venez à la table des domestiques.

Le bonheur, l’ivresse, la gourmandise et l’ingénuité du lazzarone transformé donnèrent le divertissement aux laquais de l’hôtel. Nino savourait des mets inconnus, débris succulens du festin des maîtres. Le soir, on lui donna un lit de sangle dans un coin. Pour la première fois de sa vie, il s’étendit entre deux draps de toile, et les délices de sa