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bottes ! Par le sang du divin Sauveur, ce sont bien des bottes ! Ah ! je n’en doute plus, le cœur de mon Nino m’a été ravi ; mais je ne renonce pas à mes droits. Vous me l’avez séduit, volé, ensorcelé ; il faut me le rendre, ou je ferai un malheur… Des bottes, juste Dieu !

— Quel malheur ferez-vous ? dit Giovannina. Je ne vous crains pas, et je me moque de votre jalousie. Je vous le répète, Nino est venu me chercher à la Conciaria, où je demeure…

— Ce n’est pas à la Conciaria, interrompit Bérénice, qu’une fille comme toi doit demeurer ; c’est dans le faubourg Capuano. C’est là que les femmes donnent des bottes aux jeunes gens.

Le quartier de la porte Capuane étant celui des femmes de mauvaise vie, Giovannina releva la tête de l’air d’une lionne blessée.

— Brisons là, dit-elle. Que Nino choisisse entre nous deux. Je ne l’empêche point de vous suivre.

— Je ne vous quitte pas, dit Nino en prenant la main de sa maîtresse.

— Eh bien donc, malheur à vous deux ! s’écria Bérénice. Accident sur vous deux ! Et prenez garde de mourir, l’un d’un tocco, et l’autre d’une puntura.

Dans leur dialecte, les Napolitains appellent tocco le coup de sang ou l’attaque d’apoplexie, et puntura la fluxion de poitrine ; mais ces deux mots ont encore un autre sens non moins redoutable en matière de menace : le premier signifie coup de marteau, et le second piqûre, ou blessure avec un instrument aiguisé. Nino devint pâle comme s’il eût déjà senti la pointe d’un stylet entre ses côtes. Quant à Giovannina, elle se moqua de la malédiction, et rassura son amoureux en lui disant de ne craindre ni coup ni piqûre, que c’étaient des mots de femme en colère, et qu’un bon mariage mettrait fin à toutes ces querelles et récriminations, en foi de quoi elle présenta sa joue ronde à Nino, qui lui donna le baiser des accordailles.

Cependant Bérénice, hors d’elle-même, courut d’un trait jusqu’à l’extrémité du faubourg de Chiaïa. Parmi des pêcheurs qui sommeillaient à côté de leurs barques, elle reconnut les formes athlétiques de Ciccio, le galant assidu de la compagnie du Vomero. Bérénice frappa sur l’épaule du dormeur et lui fit signe de la suivre au bord de la mer.

— Écoutez-moi, lui dit-elle en se tournant vers lui impétueusement. Vous m’avez souvent parlé d’amour sur le ton du badinage ; il faut répondre sérieusement aujourd’hui : m’aimez-vous ?

— Sans badinage aucun, je vous aime, répondit Ciccio, et si je vous l’ai dit en plaisantant, c’est que je vous voyais occupée d’un autre.

— Vous avez bien vu. Mais cet autre, je le déteste à présent ; il m’a trahie, offensée mortellement. Vengez-moi, et je suis à vous.

— J’entends, dit Ciccio : vous êtes jalouse ce soir, et demain