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commandait de rester couché sans mouvement, afin que son ennemi le crût mort. En somme, hormis quelques légères contusions et un accroc à son pantalon de toile, il n’avait rien.

Quand le petit lazzarone eut acquis la certitude, en guignant du coin de l’œil, que les auteurs du guet-apens avaient pris la fuite, il se releva et courut comme un chevreuil jusqu’à la Conciaria. En le voyant arriver hors d’haleine et couvert de poussière, Giovannina comprit que son amant venait d’échapper à quelque grand danger. Nino ne manqua pas d’embellir le récit de son aventure de toutes les circonstances les plus dramatiques et les plus émouvantes qu’il put imaginer. Il avait lutté corps à corps avec le terrible Ciccio. Deux fois il l’avait terrassé après avoir essuyé le feu de la carabine, dont la balle s’était détournée par miracle, grâce à la protection de la madone dell’Arco. Il avait failli étouffer l’assassin en le pressant entre ses bras, et Ciccio, déconcerté par la vigueur d’un adversaire si redoutable, s’était estimé trop heureux de se tirer meurtri de coups, mais vivant encore, de cet effroyable combat. Giovannina poussait de gros soupirs en écoutant ces rodomontades ; elle voulut brosser de ses propres mains les habits du vainqueur, et quand Nino lui eut montré ses coudes écorchés et noircis par les contusions, elle s’écria dans un élan de tendresse : — Va, tu es un héros, un lion par le courage, un agneau par la douceur du caractère, et de plus un beau garçon. A combien d’hommes qui ne te valaient point n’a-t-on pas élevé des statues ! Je ne sais comment j’ai pu attendre si long-temps pour t’aimer à la folie. Conduis-moi chez le généreux seigneur qui me conseille et me protège, et demandons-lui la permission de nous marier.

Le seigneur anglais demeura froid et impassible tandis que Giovannina lui faisait avec éloquence l’aveu de sa passion pour Nino et le récit des dangers que son amant venait de courir. Son discours manquait absolument d’art et de méthode. Elle confondit ensemble les détails du combat et la peinture de ses sentimens, en passant d’une idée à l’autre avec une vivacité incroyable ; mais, au milieu de ce pêle-mêle, on voyait aisément que son cœur était profondément touché. Sa pétulance se ralentit un peu lorsqu’elle en vint au véritable but de la conférence. En murmurant le mot final de mariage, elle s’arrêta les yeux baissés, et une pudeur charmante colora ses joues.

— Allons au fait, lui dit sir John : est-ce un avis que vous me demandez, ou bien êtes-vous déterminée d’avance à épouser ce garçon ?

— Que sais-je ? répondit la jeune fille. Je l’aime, et je vous demande pourtant votre avis.

— Je vais donc vous parler raison, en ami. Ce petit bonhomme est fort au-dessous de vous. Il ne gagnera jamais qu’un salaire incertain dans sa qualité de domestique. Vous étiez en passe de faire fortune.