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— Je te les donnerai, reprit sir John.

— Ô grand saint Lazare ! s’écria Nino, reçois mes bénédictions dernières ; je ne suis plus sous ta protection. Saint Antonin, mon patron, soutenez mon faible cœur dans ce moment d’ivresse, et vous, saints puissans et inconnus, qui protégez les hommes riches, daignez m’accepter sans dédain parmi vos favoris.

Afin que cette invocation devînt exacte sur tous les points, le seigneur anglais tira incontinent de sa poche l’argent nécessaire à l’acquisition du mobilier. Les deux fiancés lui baisèrent les mains malgré ses efforts pour échapper à ces témoignages de respect et de gratitude, et il donna congé pour le reste du jour à Nino, qui partit avec sa maîtresse bras dessus bras dessous. Cependant sir John, connaissant à fond l’esprit inventif des Napolitains, voulut savoir si l’affaire du guet-apens n’était pas une fable. Il en parla au commissaire de police de son quartier ; le commissaire secoua la tête, en répondant :

— J’interrogerai votre domestique ; mais j’ai sujet de croire que cette histoire est un mensonge.

Nino trembla comme s’il eut été le coupable, quand on le fit appeler au bureau de police. Il feignit d’abord de ne point comprendre ce qu’on lui demandait ; la menace de la prison lui délia pourtant la langue, et il finit par accoucher d’un récit presque véridique de sa rencontre dans le sentier de la Petrara. Peu de jours après, une maisonnette des environs d’Amalfi fut cernée de grand matin par la maréchaussée. Ciccio et Bérénice, les mains liées avec des cordes et suivis de quatre gendarmes, se rendirent à pied au chemin de fer de Castellamare : un fiacre les attendait au débarcadère et les mena aussitôt à la police. La carabine, instrument disloqué du crime, fut représentée à Ciccio, qui la reconnut. Par zèle et par tempérament, les magistrats napolitains ont accoutumé de rendre la justice avec une impétuosité tout-à-fait remarquable. Les deux prévenus essuyèrent une bordée d’injures, de reproches et de menaces, qu’ils écoutèrent avec des contenances diverses : Bérénice était sombre comme la nuit, et sur son visage fier on lisait l’endurcissement de son cœur, tandis que Ciccio paraissait humble et confus. Lorsque l’interrogateur demanda quels sujets de haine pouvaient avoir les prévenus contre leur victime, Bérénice avoua, sans hésiter, sa jalousie et sa rancune ; mais Ciccio prit un ton piteux et larmoyant :

— Hélas ! monseigneur, dit-il, je n’avais aucun sujet de haïr Nino.

— Alors pourquoi l’avoir tué, misérable assassin, car tu n’ignores pas qu’il est mort ?

— Il est mort ! répondit Ciccio ; c’est donc de maladie ? Comment aurais-je pu le tuer à dix pas de distance, avec cette carabine qu’on ne peut faire partir qu’en appuyant la crosse sur son ventre et en soulevant le chien pour le laisser retomber ?