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faisait de lui. Les laveuses blâmèrent unanimement sa conduite, et les jeunes gens refusèrent de lui parler. Parmi ces laveuses étaient les ouvrières de Giovannina, qui avaient appris de leur maîtresse certains détails particuliers sur le guet-apens de la Petrara. Ciccio connut ainsi qu’un Anglais demeurant à l’hôtel de la Victoire l’avait dénoncé à la police et fait poursuivre. La délation se pratique beaucoup à Naples ; mais elle y est l’objet de l’exécration publique, et les gens désintéressés eux-mêmes prêteraient volontiers main forte à un acte de vengeance contre un dénonciateur. Le passant qui remarque un filou tirant un mouchoir de la poche de son voisin s’exposerait à recevoir une coltellata, s’il désignait le voleur. En ce pays-là, l’usage est de ne point se mêler des affaires des autres, et la nuit, si l’on voit dévaliser un homme, au lieu de lui porter secours, on va mettre de l’argent sur le numéro 13 au premier bureau de loterie. Le muletier Annibal, oracle de la compagnie du Vomero, témoigna énergiquement son indignation contre les délateurs en général et contre cet Anglais maudit qui avait envoyé devant la justice un Napolitain. Ciccio, saisissant l’occasion de se réhabiliter, déclara son intention de punir le seigneur anglais, et il prit l’engagement de lui introduire dans le corps la lame de son couteau.

— Si tu fais cela, dit Annibal, tu auras réparé tes fautes, et je t’indiquerai un endroit des montagnes de la Calabre où la justice n’ira point te chercher.

Une douzaine de sermens et d’imprécations que Ciccio prononça d’une voix sonore excita l’admiration des laveuses ; un murmure approbateur apprit au pêcheur déchu qu’il venait de reconquérir par cette belle résolution l’estime dont un moment d’erreur l’avait destitué. Cependant une des ouvrières de Giovannina fit à sa maîtresse la confidence des conversations du Vomero. Giovannina courut bien vite avertir son protecteur, qui ne parut pas fort effrayé de ces révélations. Sir John, en se promenant à la Villa-Reale, remarqua un colosse à moitié nu qui le suivait du regard à travers la grille du jardin, dont l’entrée est interdite aux lazzaroni à cause de leur tenue peu décente. Le lendemain, dans le parc de Capo-di-Monte, il aperçut la même figure. Chaque fois qu’il sortait de chez lui pour aller dans la ville ou à la campagne, qu’il fût seul ou accompagné, il retrouvait partout ce colosse, rôdant à grande distance et faisant une mine de conspirateur, sous laquelle on démêlait l’indécision et la timidité. Ennuyé de ce manège, sir John voulut en finir. Un matin, il attira son homme dans une ruelle déserte et marcha droit à lui.

— Que me veux-tu ? lui dit-il ; quel est ton dessein en me suivant ?

— Je cherche l’occasion de parler sans témoins à votre seigneurie, répondit Ciccio ; pas autre chose.