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venues, c’est assurément pour nous rapprendre ce que fut la convention. Plus l’erreur est invétérée, plus il faut se garder de l’attaquer de haute lutte et de porter dans la rectification des faits rien qui sente la passion ni même l’affirmation dogmatique. Il faut laisser la vérité se rétablir comme d’elle-même, en y mettant le temps, sans violenter le lecteur, et à force de lui donner confiance dans la clairvoyance et la bonne foi de son guide.

Fidèle à sa constante méthode, M. de Barante fait souvent parler ses personnages. De longs fragmens de leurs discours, des exposés complets des discussions importantes, la reproduction textuelle d’un grand nombre de rapports, de preuves, de témoignages, de pièces justificatives, voilà pour lui le fond et comme les premières assises de l’histoire. C’est sur ce terrain solide qu’il convie son lecteur. Il l’accoutume peu à peu à s’y croire en sûreté, et sans lui donner d’avis, sans le fatiguer de réflexions, sans le poursuivre de jugemens tout faits, laissant à peine çà et là percer ses propres sentimens, il fait agir sur lui je ne sais quelle force de persuasion, lente, insensible, mais communicative et toujours efficace.

Peut-être pour certains esprits un procédé moins naïf et plus prompt, un travail plus concentré, plus combiné, une intervention plus directe et plus fréquente de l’auteur seraient des conditions de succès plus entraînantes. Même en acceptant la devise scribitur ad narrandum, bien des gens demandent à l’histoire certains soins, certaines recherches de composition : ils veulent que le fil du récit ne soit jamais flottant, et que le narrateur, dût-il user parfois d’un certain artifice, se préoccupe incessamment de ne pas laisser fléchir l’intérêt. Pour M. de Barante, l’intérêt, c’est la vérité. Tout ce qui est vrai l’intéresse à un degré presque égal. Pour qu’une chose le captive, il suffit qu’on lui en montre une image exacte et fidèle, une image sans faux luisans, sans reflets trompeurs, sans mensonges ni tricheries. Le mérite de la ressemblance lui dérobe en quelque sorte les défauts mêmes de la réalité. De là vient que devant des faits qui, pour d’autres, auraient peu d’importance, il hésite à élaguer et se complaît à tout dire, oubliant que le lecteur aurait peut-être envie de presser un peu le pas. Pour juger sainement cette méthode, pour apprécier ses résultats, pour en tirer bon profit, il faut l’accepter franchement et se laisser aller soi-même à la pente que suit l’auteur. Qui sait si sous cette prétendue négligence de tout moyen d’effet ne se cache pas un art plus raffiné qu’on ne pense? Ce rôle de narrateur impassible donne lieu, quand par momens on l’abandonne, à de saisissans contrastes, et c’est ainsi que dans plus d’un passage, sans avoir l’air de le chercher, ni presque de le vouloir, sans l’ombre de prétentions ni d’efforts, l’historien s’élève à l’éloquence la plus vraie, par cela seul que momentanément il