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et que jamais la nation ne serait républicaine, si ce n’est à coups de guillotine. » Ces excuses, si faibles qu’elles soient, on pouvait les donner alors: mais que dirait l’histoire, si d’autres girondins. plus d’un demi-siècle après, en pleine connaissance de cause, dans un temps sans fièvre ni délire, l’exemple de leurs devanciers sous les yeux, avaient recommencé le même jeu, avec les mêmes espérances, avec les mêmes illusions, et si, par leur aveuglement, nous avions vu tomber cette autre royauté, qu’eux aussi ils ne voulaient que faire capituler? C’est là un point que l’avenir éclaircira. Nous ne voulons pas toucher à ces questions brûlantes; mais on ne peut lire les récits du 10 août sans croire assister encore à notre récente catastrophe, et sans se sentir le cœur serré de l’apparente ressemblance entre les deux conduites et les deux événemens. Les enseignemens de l’expérience seront-ils donc éternellement stériles? Est-il donc dit qu’à côté des hommes qui détruisent sciemment les gouvernemens, il s’en trouvera toujours qui les renversent sans le vouloir, à la fois dupes et complices de ces masses brutales qu’ils déchaînent, qu’ils aiguillonnent, et qu’ils ont l’inepte prétention d’arrêter et de contenir à leur heure et à leur volonté?

Mais ne parlons pour aujourd’hui que des girondins de 92; aussi bien ne sommes-nous pas au bout de cet examen de conscience que l’histoire leur impose et dont nous ne pouvons les tenir quittes.

On nous dira, pour leur défense, que le 10 août et même le 20 juin ne sont pas uniquement leur ouvrage; que, s’ils ont eu le malheur de ne pas voir l’abîme, s’ils s’y sont précipités en y entraînant leur pays, ils ont eux-mêmes été poussés et n’ont cédé qu’a un entraînement dont la violence irrésistible ne saurait plus être comprise aujourd’hui. Admettons que cela soit vrai; atténuons tant qu’on voudra la part qui leur revient dans ces fatales journées : il est une autre responsabilité, non moins pesante, qui, quoi qu’on fasse, ne peut retomber que sur eux. C’est à eux, c’est par leur instigation, c’est pour obéir à leurs injonctions incessantes que la guerre a été déclarée à l’Europe. Sans doute on peut nous dire aussi que la guerre alors était dans l’air, comme une maladie contagieuse. Personne n’avait le bon sens et le courage de la combattre, personne n’en comprenait les véritables dangers; mais si les girondins ne s’en étaient point épris, s’ils n’en avaient pas fait le but de leurs efforts, le thème favori de leur éloquence, leur grand moyen de popularité; si Brissot, leur pourvoyeur d’idées politiques, ne leur avait pas persuadé que la guerre était le levier qui leur livrerait définitivement le pouvoir en détruisant l’influence de la cour, peut-être eût-il été possible d’ajourner, tout au moins de quelques mois encore, la fatale déclaration du 20 avril 92, et qui sait ce que cet atermoiement pouvait produire de combinaisons nouvelles, ce que six mois de paix seulement pouvaient changer dans la marche des choses*?