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considération dont ils entourent ceux qui s’y dévouent. Les travaux numismatiques de M. de Lagoy, le Mémoire sur la ville et le port de Fréjus et la Monographie de l’amphithéâtre d’Arles, de M, Jacquemin, auraient suffi, il y a trente ans, pour ouvrir aux auteurs les portes de l’Académie des Inscriptions. Un juge dont l’autorité est irrécusable en semblable matière, M. Mérimée, a dit de ce dernier livre qu’il attestait « une connaissance étendue des usages des anciens, » et à cet éloge mérité nous ajouterons que le travail de M. Jacquemin se recommande par une excellente méthode. Le premier volume traite de l’histoire générale des jeux du cirque; le second, de ce qui a rapport au théâtre d’Arles en particulier. C’est une curieuse étude que celle de ces jeux et de ce théâtre antique, où tout ce qu’une imagination cruelle et blasée peut rêver de terrible, d’obscène, de grotesque, était offert aux applaudissemens de la foule. Auguste faisait tuer en un seul jour trente-six crocodiles dans le cirque flaminien; Néron, à son tour, y faisait tuer quatre cents ours et trois cents lions, et quand les lions manquaient, il faisait tuer des hommes, en offrant comme intermède aux hécatombes de gladiateurs des combats de rats et de belettes. Cette barbarie avait envahi la scène littéraire elle-même, et, pour animer les tragédies languissantes ou les pantomimes mythologiques du théâtre latin, on les dramatisait avec des meurtres. Mutius Scévola faisait brûler sa main dans un brasier ardent. Quand on représentait un supplice, on clouait le condamné sur une croix, et on le faisait déchirer par un ours. Dans Hercule furieux, on choisissait parmi les malfaiteurs l’acteur chargé de ce rôle, et on le brûlait vivant sur la scène, dans la robe fatale imprégnée de matières inflammables; enfin le cygne de Léda, le taureau de Pasiphaë, habilement imités par une mécanique savante, jouaient sous les yeux du peuple romain le même rôle que dans les légendes païennes. Riche de détails et d’aperçus nouveaux sur une matière en apparence épuisée, le livre de M. Jacquemin unit à l’intérêt du roman la valeur scientifique de la dissertation, et de plus il porte le cachet d’élégance littéraire qui distingue également MM. J.-J. Estrangin et Honoré Clair, auteurs de travaux estimés sur l’histoire et les monumens d’Arles. L’Histoire de Manosque, par M. l’abbé Féraud, et la Notice de M. Jules Canonge sur la ville de Baux donnent lieu aux mêmes remarques. Cette Notice de M. Canonge est brillamment écrite, trop brillamment peut-être; mais, en Provence, les érudits ont depuis long-temps l’habitude d’être poètes, et M. Canonge, à qui l’on doit de jolis vers, a fait comme les cochers antiques dans l’amphithéâtre de son beau pays : il a semé sur sa route du vermillon et de la poudre d’or. C’est là, du reste, en Provence, l’une des premières conditions du succès. Dans le nord, on veut des faits et des dates; dans le midi, des images et du style, et nous devons ajouter que le livre de M. Jules Canonge satisfait pleinement à ces deux exigences opposées.

Parli de Lille et d’Arras, nous voici maintenant arrivé à Marseille, après avoir parcouru la vieille France tout entière, et cependant notre voyage n’est point encore terminé. Cette mer de la Provence, sillonnée il y a tant de siècles par les vaisseaux des Phocéens, nous sépare d’une France nouvelle, où les grands souvenirs de Rome et du christianisme naissant appellent le voyageur et l’érudit, en même temps que les nobles dangers de la guerre y appellent le courage et l’activité du soldat. En Algérie comme en Égypte et en Morée, les