Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

redoutent également l’anarchie et le despotisme, qui louent l’assemblée nationale d’avoir détruit une foule d’abus, et qui la blâment d’avoir désorganisé tout l’empire, retenu tous les pouvoirs, annihile l’autorité royale : ces mécontens peuvent servir le trône, si on leur persuade que toutes les bases utiles posées par l’assemblée nationale seront conservées, qu’on ne cherche point à détruire son ouvrage, qu’on n’a pour but que de l’améliorer. Mais cette classe n’est pas la plus nombreuse parmi les mécontens, ou plutôt ce sont là des dissidens plutôt que des mécontens. Il n’en est pas de même du clergé, des parlemens, des possesseurs de fiefs et d’une grande partie de la noblesse ceux ci, qui pourraient jouer un rôle dans une guerre civile, sont presque aussi dangereux pour une contre-constitution sage et mesurée que les démagogues les plus outrés : Si la cour veut recouvrer quelque influence, elle doit bien se garder de laisser penser qu’elle veuille service cette dernière classe de mécontens : il vaudrait mieux annoncer ouvertement le contraire, en montrant, par exemple, que la nouvelle constitution doit nécessairement plaire au roi ; puisqu’elle a détruit plusieurs usurpations que l’autorité royale n’avait cessé d’attaquer depuis plusieurs siècles[1]. » Point de contre-révolution, point d’alliance avec les contre révolutionnaires, voilà donc le fond de la politique de Mirabeau. « Je suis l’homme du rétablissement de l’ordre et non d’un rétablissement de l’ancien ordre ; dit il à M. de La Marck[2]. » Et je me hâte de dire que la répugnance que Mirabeau a pour la contre-révolution n’est pas seulement l’effet de ses passions et de ses rancunes, c’est aussi une répugnance d’homme d’état ; car M. de La Marck, moins passionné que Mirabeau ; M. de La Marck, grand seigneur et qui perd beaucoup par la révolution, M. de La Marck pense sur ce point comme Mirabeau, que la contre-révolution est impossible, que c’est un danger de la vouloir, et une faute, si on ne la veut pas, de ne pas la répudier hautement. « Il est permis, dit-il dans une lettre au comte de Mercy-Argenteau, naguère ambassadeur d’Autriche à la cour de France il est permis à ceux à qui des pertes immenses ont fait tourner la tête de désirer une contre-révolution : je dis de la désirer, et non d’y croire ; mais aucun homme de sens n’y pense plus. C’est à l’espoir d’une contre-constitution, si l’on peut parler ainsi ; que doivent se borner les gens modérés, c’est-à-dire cette classe nombreuse de citoyens amis de la liberté et de la paix, qui soutient l’assemblée lorsqu’elle fait le bien et la censure lorsqu’elle s’égare[3]. » Qu’on ne croie pas qu’il faille attribuer à l’influence de Mirabeau les sentimens de M. de La

  1. Tome II, p. 423-424
  2. Idem, p. 251.
  3. Idem, p. 298.