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verrez comment on quête en allemand. L’auteur, dont les antécédens littéraires n’annonçaient pas un chef-d’œuvre si complet de style démagogique, s’est réfugié à Londres au sortir de la prison d’où il s’était presque miraculeusement échappé. Il s’est institué le collecteur en chef du parti, d’où il prétend écarter « les héros de tribune et les faiseurs d’esprit sans enthousiasme. » Ou ces épithètes n’ont pas de sens, ou elles s’appliquent aux notoriétés, aux sommités du parti que M. Kinkel prétend bien détrôner en sa qualité de nouveau venu, tant il est vrai qu’il n’y a pas de hiérarchie possible dans le pêle-mêle des factions, «morceaux rompus d’un morceau,» comme disait éloquemment Bossuet. M. Kinkel accuse réception de 160 livres sterling qui lui ont été remises par une Société centrale de l’Amérique du Nord, autre caverne sans doute, « remises sans mandat spécial pour agir dans l’intérêt de la révolution. » Il en demande d’autres. « Vous, hommes de l’Amérique, vous avez compris ce qu’il fallait, de l’or! » Et pourquoi cet or? C’est que « les hommes indispensables, les talens organisateurs, les fonctionnaires de l’association tombent dans la pauvreté, ils émigrent; ils pourraient n’être pas à la première bataille! » Et la première bataille, ne nous abusons pas, on ne la remet point à longue échéance, on ne nous fait pas de grâce. « Aussitôt que l’idée de la révolution éclatera et passera de l’école dans la rue, il faudra prendre le mousquet. » De l’or donc aujourd’hui pour avoir de la poudre demain !

Il est heureusement un point dont nous sommes très sûrs, c’est qu’il suffit d’un petit nombre d’hommes portant au dedans d’eux-mêmes la conscience intelligente du devoir et du droit, pour faire reculer, poitrine contre poitrine, la passion la plus effrénée de désordre et d’anarchie; c’est que le jour où l’école, selon le dire du docte Allemand, descendra dans la rue pour devenir l’émeute, le jour où « l’idée de la révolution, » de cette révolution violente et barbare, s’avisera de remuer les pavés; ce jour-là, ce petit nombre, fût-il seul, ce petit nombre d’hommes de bien, instruits par les avertissemens et les défis que nous enregistrons exprès ici pour leur gouverne, sera bientôt à son poste et ne le quittera point. Le tout est de ne pas se tromper sur les moyens de résistance, de ne pas s’appuyer à des étais vermoulus, de ne pas chercher sa force dans des fictions impuissantes ou mensongères. La force de la société présente contre le péril de la démagogie, ce n’est point une restauration artificielle de la société passée; c’est la conviction raisonnée de son droit propre et l’amour sévère de ses véritables principes. Ne gaspillons pas notre bon vouloir dans de funestes tâtonnemens, et n’allons pas inventer, pour remédier à nos maux, des recettes trop factices. Voici, par exemple, un écrivain dont les sentimens sont on ne saurait plus honorables, qui aime évidemment son pays, qui l’a servi dans sa sphère, qui devrait avoir l’expérience des années[1]; savez-vous ce qu’il propose pour remettre sur pied la société française? Ni plus ni moins que de la faire représenter par une diète à la prussienne et par une diète composée de six ordres. « Le mot de diète est nouveau en France, et c’est bien un mérite pour un peuple si amateur de nouveauté; comme le mot d’ordre, il est consacré partout. » Six ordres, rien que cela : les prêtres, les nobles, les

  1. Considérations politiques au point de vue du vrai absolu et des concessions possibles, par M. le vicomte de la Tour du Pin-Chambly.