Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 12.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non-seulement empêche les hommes de s’unir et les retient dans l’isolement, mais elle établit entre eux des rapports de crainte et de frayeur qui ne servent qu’à les précipiter plus avant dans tous les dangers qu’ils redoutaient.

La foi vivifie et fortifie tout, dit l’apôtre; elle vivifie et fortifie surtout les relations des hommes entre eux, car si je suis certain que mon voisin a la même croyance que la mienne et que ce qui fait ma vie fait aussi la sienne, nos rapports seront pleins de sûreté et de confiance. D’où est né le socialisme? Précisément d’une critique de l’état social; seulement, comme les socialistes n’ont point vu que ce qui constituait l’état social d’un peuple, c’étaient, non pas les institutions, pure expression de la volonté nationale, et les lois, pure constatation des mœurs, mais les rapports des hommes entre eux, ils ont fait retomber sur les institutions tout ce qu’il y avait de désordres dans la société, et sont devenus à leur tour un dissolvant anarchique, et le plus puissant de tous. On peut affirmer que si la révolution française avait procédé autrement qu’elle n’a procédé, si elle avait apporté avec elle un principe religieux, le socialisme n’aurait jamais existé. Le socialisme s’appuie principalement sur les désordres qui règnent dans l’industrie, sur les crises qui viennent périodiquement la frapper; les institutions qui régissent l’industrie sont-elles donc mauvaises? Non certes : sa hiérarchie actuelle est naturelle et n’a rien qui blesse l’égalité. La liberté est son principe, l’émulation son moyen de progrès; elle est fondée sur ce grand principe d’équité naturelle, qu’il faut rendre à chacun ce qui lui appartient, et lui laisser acquérir par lui-même, sans le gêner ni le protéger, l’encourager ou le blâmer, ce qu’il désire posséder. D’où viennent donc cependant toutes ces récriminations furieuses, ces contestations qui ont dégénéré et menacent de dégénérer encore en guerre civile? Tout simplement des mauvaises relations qui existent entre les parties adverses. Quel est, je le demande, le lien moral qui unit le patron et l’ouvrier, le maître et ses subordonnés? Ont-ils une foi qui leur soit commune, un Dieu qu’ils considèrent comme leur père réciproque, un même asile pour leur conscience? Trop souvent le seul lien moral qui leur soit commun, c’est la négation de ces croyances. Ils sont donc unis par de purs liens matériels, par les liens de la nécessité; ils n’ont d’autres rapports véritables que celui du règlement de comptes chaque samedi, jour du religieux et antique sabbat, veille du dimanche chrétien. Vous étonnez-vous si à la moindre contestation ces deux hommes vont se défier l’un de l’autre, se séparer remplis de haines, — et si ces défiances réciproques se renouvellent trop souvent, vous étonnerez-vous qu’ils s’égorgent? Non certes. Il est impossible que des hommes aussi étrangers les uns aux autres, sans aucun moyen de se connaître, ne se défient pas mutuellement les uns