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et séparés, comment supposer qu’ils seront plus unis après une révolution qu’auparavant? Disons-le, les rapports des hommes, loin de devenir meilleurs, deviennent pires après chaque bouleversement. Si l’on voulait sérieusement se livrer à une enquête morale, peut-être trouverait-on que les rapports des individus entre eux sont loin d’être ce qu’ils étaient sous le règne de Louis-Philippe; à coup sûr il y a plus de haines, plus de rivalités, plus de convoitises, qu’il n’y en avait sous le gouvernement de juillet, où, quoi qu’on en ait dit, les relations des hommes entre eux étaient aussi parfaites qu’elles peuvent l’être dans une société sceptique et qui n’a pas une grande foi religieuse. Mais si la société est sceptique, à qui la faute? Et si la foi religieuse manque, les révolutionnaires en sont-ils plus mécontens? N’est-ce pas sur ce scepticisme qu’ils comptent pour égarer l’opinion, et l’incrédulité générale ne leur semble-t-elle pas la plus grande des vertus qu’une société puisse avoir, le titre de gloire le plus incontestable de la génération actuelle?

La révolution n’a donc plus de sens ni de raison d’être; la révolution politique, sociale est dès long-temps terminée. Toutes les révolutions nouvelles ne seront plus que des déviations. Février 1848 a commencé une nouvelle époque, qu’on pourrait appeler l’ère des déviations de la révolution française. Si la société doit être réformée, ce n’est plus politiquement, mais moralement. Le véritable révolutionnaire de notre époque serait l’homme qui viendrait enseigner à ses semblables qu’ils ont une ame aussi bien qu’un corps, que s’ils sont libres, ils sont aussi responsables, et que l’existence d’un Dieu est plus certaine que leur existence individuelle : toutes choses qu’ils ont oubliées. S’il se rencontrait un homme doué d’une grande ame qui, pour tout enseignement, se bornât à faire le commentaire des trois paroles de la foi de Schiller, Dieu, la liberté, la vertu, on pourrait dire que la révolution continue à beaucoup plus juste titre que si les hommes de notre temps persistent à se déchirer pour des questions économiques. Si quelque grand esprit, parvenant à se faire écouter, arrivait à nous convaincre que la vertu nous est aussi nécessaire que le pain, que Dieu est aussi nécessaire au monde que le soleil, et que, selon la parole du poète allemand, la croyance en ces choses constitue l’homme; que l’homme a toute sa valeur lorsqu’il croit en elles, et qu’il la perd lorsqu’il a cessé d’y croire, ce personnage pourrait être regardé comme un grand révolutionnaire, et il accomplirait les plus grands événemens dont l’histoire fasse mention.

Aujourd’hui malheureusement nous n’avons pas de tels révolutionnaires : le révolutionnaire de l’époque actuelle ne croit pas à ces forces extérieures et morales; il croit à des mécanismes de son invention, à des formules, à la possibilité d’une organisation extérieure du travail, de la richesse, du crédit, toutes choses qui dérivent de la