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malgré son rôle subalterne, il faut encore assigner une place importante sur le globe, se distinguent des races aborigènes, qu’elles ont refoulées dans les montagnes, par des traits plus délicats, par un teint plus clair, par la souplesse de leur chevelure, qui contraste avec les cheveux crépus et incultes des Papous et des Harfours. Les Malais ont l’imagination vive et gracieuse : la poésie exerce sur eux son prestige. La musique leur rend légers les travaux les plus pénibles, car leur oreille délicate en saisit avec une étonnante facilité les intonations et la cadence. Il suffit que le tam-tam retentisse, que le gong, frappé en mesure, mêle à ce bruit sourd ses sons argentins, pour que les rameurs qui font voler les grandes pirogues aux toits de bambou et aux doubles balanciers sur les eaux paisibles de la rade oublient à l’instant leurs fatigues et retrouvent leur ardeur.

Après avoir visité la ville, notre premier soin fut de parcourir les rivages de la baie. Les bosquets de cocotiers, de sagoutiers, de litchis s’y pressent jusque sur la plage: mais au premier rang brillent ces magnifiques arbres aux feuilles charnues[1], dont les fruits broyés et jetés dans l’eau enivrent le poisson, et dont les grandes fleurs laissent pendre du sein des calices épanouis leurs longs filets de pourpre. Tous ces arbres sembleraient sortir de la mer, si un sable fin et blanc n’invitait partout le pied du baigneur, et ne séparait de l’azur des flots les masses verdoyantes derrière lesquelles apparaissent par de rares échappées les cabanes des Malais ou les pittoresques villas des habitans d’Amboine. Ces villas, bâties sur la rive septentrionale pour aspirer la délicieuse fraîcheur des brises du large, ont toute la simplicité d’une maison rustique. Les branches des sagoutiers en ont formé les planchers et les murailles; les feuilles des palmiers, enfilées sur des tringles de bambou, en composent la couverture, et remplacent le chaume employé dans nos campagnes.

Quand les bords de la baie n’eurent plus pour nous de mystères, nous songeâmes à gravir les montagnes; au jour fixé pour cette nouvelle excursion, nous nous trouvâmes tous réunis, dès six heures du matin, chez le résident d’Amboine. Quarante chaises à porteurs nous attendaient. A Bahia, où nous avions déjà fait l’épreuve de ce mode de transport, deux vigoureux nègres de la côte d’Afrique suffisent pour promener d’un pas magistral et grave la lourde cadera aux allures solennelles. A Amboine, les brancards de bambou pèsent à la fois sur huit ou dix épaules; mais il faut voir avec quelle prodigieuse rapidité cet attelage humain fait voler à travers les montagnes le fauteuil ainsi transformé en tilbury! Des chevaux lancés au galop ont moins de vitesse; des chèvres ont le pied moins sûr : on dirait des

  1. Barringtonia speciosa.