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Les danseurs, guidés par leur chef, se mêlaient ou s’évitaient avec une dextérité singulière. On voyait briller les kris, on entendait les boucliers se choquer en cadence : on eût dit une de ces mêlées barbares dont les montagnes de Bourou et de Céram sont encore le théâtre; mais, depuis long-temps, les paisibles habitans d’Amboine ne brandissent plus leurs kris que dans ces danses guerrières; la civilisation les a définitivement conquis. Lorsque le tam-tam eut cessé de se faire entendre et que les danseurs haletans se furent retirés, nous pûmes juger de la sollicitude avec laquelle les Hollandais s’occupent de pacifier et d’instruire ces populations, dont la destinée leur a été confiée. Une vingtaine d’enfans étaient réunis dans l’école primaire où nous fûmes introduits. Nous admirâmes la netteté des caractères tracés par la main de ces bruns écoliers; nous les entendîmes chanter en malais quelques versets de la Bible, et nous comprîmes sans peine le naïf orgueil dont semblait empreinte la physionomie de leur instituteur, mulâtre au teint de bistre, qui, pour un si grand jour, avait tiré de la cheminée, où il bravait les atteintes des insectes destructeurs, l’habit noir de famille cher à tous les chrétiens amboinais.

L’établissement de ces écoles primaires n’est point de date récente; ce fut la compagnie des Indes qui les fonda, vers la fin du XVIIIe siècle, en vue de propager dans l’île les principes du calvinisme. La population d’Amboine avait été convertie au mahométisme par les marchands javanais et par les conquérans venus de Ternate; les religieux portugais lui avaient porté, à leur tour, la connaissance de l’Évangile. Les Hollandais trouvèrent donc à Amboine des musulmans et des chrétiens. Ces derniers, confirmés dans leurs privilèges et distingués des musulmans par leur costume, ne soupçonnèrent point qu’en se conformant aux pratiques religieuses de leurs nouveaux maîtres, ils abjuraient leurs anciennes croyances. Le calvinisme s’enrichit de ces conversions faciles, et la domination hollandaise se trouva assise à Amboine sur une base qui devait lui manquer partout ailleurs. Aussi cette colonie s’est-elle montrée, de tout temps, fort attachée à la métropole; elle fournit encore aujourd’hui à l’armée des Indes ses meilleurs soldats. La Hollande cependant, avec sa circonspection habituelle, ne confie pas aux naturels d’Amboine la défense de leurs propres rivages; elle préfère entretenir dans cette île une garnison javanaise et opposer à la foi douteuse de Java ou à la turbulence de Célèbes le dévouement des bataillons qu’elle recrute dans les Moluques.

Les villages d’Amboine, avec leurs humbles cases de bambou et de terre détrempée, sont tous entourés, comme celui que nous venions de visiter, d’immenses enclos destinés à la culture du girofle. L’exportation annuelle de cet embryon précieux est de cent cinquante mille kilogrammes, dont la valeur varie entre 6 et 700,000 francs. Le