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C’était pour nous une heureuse fortune que d’atteindre cette nouvelle relâche le décembre. Nous savions que chaque année, à pareille époque, la fête du roi Guillaume réunissait dans les salons du résident le sultan de Ternate et les délégués du sultan de Tidor, contraints de déposer pour ce grand jour leurs inimitiés éternelles. Pressés par le résident d’assister à ce bal officiel, nous nous promîmes tous de n’y point manquer. Les formes avec lesquelles s’exerce le pouvoir de la Hollande sur les trois principaux groupes des Moluques rappellent encore les péripéties variées de la conquête et l’établissement du monopole commercial de la compagnie. A Amboine, où s’était concentrée la culture du girofle, on ne rencontre que des chefs de district servant d’intermédiaires entre les employés néerlandais et les naturels. Dans les îles Banda, consacrées à la culture de la muscade et dépeuplées par la guerre, l’exploitation du sol est confiée aux convicts, transportés de Java. L’administration est tout entière entre les mains des fonctionnaires européens. A Ternate, à Batchian, à Tidor, où il suffisait de proscrire la production des épices, la compagnie s’était contentée de s’attribuer une certaine portion du territoire pour y élever ses comptoirs et ses forts : le régime du protectorat remplace encore aujourd’hui dans ces trois îles le système du gouvernement direct. Cette combinaison permet à la Hollande d’étendre son influence sur d’immenses territoires, sans grever son budget d’occupations onéreuses. Les sultans de Ternate, de Tidor, de Batchian, se disputent sa bienveillance et s’inclinent devant ses décrets. A chacun d’eux, elle accorde annuellement une sorte de liste civile, chétif tribut destiné à caresser leur orgueil et à les consoler de la perte de leur indépendance. C’est au nom de ces princes rivaux, dont elle a pris soin d’apaiser les sanglantes querelles, mais non d’éteindre les inimitiés, qu’elle règne sur l’archipel des Xulla, sur le nord de Célèbes, sur le groupe des Sanguir comme sur la grande île de Gillolo, et qu’elle fait respecter sa puissance jusque sur les côtes inexplorées de la Nouvelle-Guinée.

Entre les nombreux descendans qui entourent les trois sultans des Moluques, une dépêche mystérieuse confiée au résident de Ternate a déjà désigné ceux qui recueilleront un jour l’héritage paternel. Tel est le droit que s’est réservé le gouvernement des Pays-Bas. A la dynastie légitime appartient la couronne; à la Hollande, la faculté de choisir celui des princes du sang qui doit la porter. Sûre de diriger à son gré ces sultans qu’elle fait asseoir elle-même sur le trône, la Hollande a voulu leur laisser l’éclat extérieur et le prestige de la royauté. Loin d’affaiblir les ressorts des gouvernemens indigènes, elle a donc, sur tous les points de son immense empire, respecté et raffermi la seule puissance morale qu’elle eût à sa disposition. Ambassadeur autorisé à parler en maître, le résident de Ternate doit adoucir autant que possible, par