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magique perspective qui s’offre à vos regards. Une nappe d’eau que ne ride jamais le souffle de la brise s’étend à vos pieds : c’est l’enceinte escarpée d’un cratère éteint qui presse de sa berge verdoyante ce lac immobile. Rien au monde ne saurait donner une idée des sensations qu’éveille cet aspect imprévu. Ce profond bassin séparé du canal de Tidor par une digue de lave, les grands arbres qui se penchent au-dessus de ces flots sinistres, le silence qui plane sur cet Averne mystérieusement enfoui au sein de la montagne, l’absence d’horizon, l’air lourd et étouffé qu’on croit respirer en ces lieux, tout se réunit pour ébranler l’imagination et la préparer à l’apparition de quelque fantôme. On assure que les Portugais, quand ils occupaient l’île de Ternate, voulurent créer un port sur ce point où la nature n’avait creusé qu’un abîme : il suffisait de couper l’étroite barrière qui sépare le lac de la mer; mais les indigènes employés à ce travail refusèrent de le continuer : sous les pioches qu’ils enfonçaient dans le sol ils avaient cru voir jaillir du sang.

Il n’existe peut-être point sous le ciel un coin de terre qui puisse rassembler dans un espace aussi restreint autant de merveilleux paysages, autant de richesses naturelles que Ternate. Le cacaotier au tronc chargé de fruits, le cotonnier aux fleurs jaunes, le caféier ployant sous ses baies rouges, prospèrent sur ce sol volcanique à côté des litchis et des orangers de la Chine, des mangoustans et des durians de Java, à côté des arbres à épices. Cette fertilité n’est point le partage exclusif de Ternate. Les îles nombreuses qui composent l’archipel des Moluques offrent toutes un terrain également favorable à ces fructueuses cultures. Cependant, depuis l’abolition de la traite et l’émancipation graduelle des esclaves, il ne faut plus juger de l’importance des possessions asiatiques par l’étendue ou la fertilité du territoire; ces possessions n’ont de valeur que par le nombre de bras indigènes dont elles procurent à l’industrie européenne l’indispensable concours. Dans l’île de Java, la Hollande peut employer aux travaux de la campagne soixante-six habitans par kilomètre carré. Aussi cette île est-elle devenue l’objet constant de sa sollicitude, la clé de voûte de son édifice colonial. Les Moluques sont loin de présenter la même proportion entre la surface du sol et la population. Ces vastes territoires renferment à peine six habitans par kilomètre carré. Une population aussi clairsemée ne peut autoriser de bien grands projets. Les îles d’Amboine et de Banda, ces deux centres de production de l’archipel des Moluques, n’occupent plus elles-mêmes, dans les Indes néerlandaises, qu’un rang secondaire, depuis que la culture du girofle et de la muscade s’est naturalisée à Cayenne et à Bourbon.

A la vue de ces rades désertes, auxquelles le comptoir de Singapore A déjà enlevé, par la navigation interlope des prôs de Célèbes, le