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trouvait chargé d’enseigner l’histoire de la philosophie. Lorsqu’il passa du corps législatif dans le sénat, il résigna des titres dont il n’avait d’ailleurs jamais rempli les fonctions et les offrit à M. Royer-Collard. Celui-ci se défendit long-temps de les accepter. Il n’avait étudié que pour lui seul. Sauf quelques articles de littérature et de philosophie qu’il avait insérés dans le Journal des Débats, sous l’initiale P., et qui ne l’avaient pas tiré d’une obscurité qui lui était chère, il ne s’était jamais communiqué au public. Il s’effrayait de produire au grand jour ses études solitaires, et il ne céda qu’à la violence amicale de M. de Pastoret et de M. de Fontanes, qui le nomma malgré son refus.

M. Royer-Collard n’avait pas fait de la philosophie une étude particulière. Sa profonde instruction s’étendait aussi bien à l’histoire, à la littérature et aux sciences qu’à la philosophie. On peut même dire que son goût le plus vif était pour les lettres. Il passa sa vie dans la lecture et la méditation de Pascal, Corneille, Bossuet, Racine; il relisait sans cesse La Bruyère; il chérissait Milton, qu’il pouvait apprécier dans sa langue. Thucydide fut le livre de sa vieillesse; il y joignit Platon, qu’il ne quittait presque pas. Quoiqu’il n’eût pas une connaissance approfondie de la philosophie, il se sentait cependant plus porté vers les philosophes du XVIIe siècle que vers ceux du XVIIIe. Il était trop clairvoyant pour ne pas apercevoir que la sensation ne pouvait rendre compte de toutes les connaissances et particulièrement de l’idée du devoir, qu’il plaçait au-dessus de toutes choses. Toutefois, dans la philosophie rationaliste, il avait à choisir entre plusieurs guides. Pour ne pas remonter au-delà des temps modernes, il pouvait suivre ou Descartes ou Leibnitz : ce fut le hasard qui le mit dans la voie de Reid. Il trouva sur le parapet d’un quai, à l’étalage d’un libraire, la Recherche sur l’entendement humain. Il en feuilleta quelques pages et fut charmé de la sagacité du philosophe écossais. Il acheta le livre pour un prix trop modique à son gré, l’emporta à la campagne et employa toute une saison à le méditer. De là il passa au grand ouvrage de Reid sur les facultés intellectuelles et sur les facultés actives, qui n’était pas encore traduit en français. Il se borna d’abord à en traduire quelques pages, qu’il lisait à son auditoire, les accompagnant de ses réflexions. L’année suivante, étant devenu plus maître de son sujet, il composa lui-même des leçons sur les questions traitées dans les ouvrages de Reid; il refondit la matière dans le moule de son propre esprit, et lui donna ainsi plus de solidité et d’éclat. On peut voir les fragmens de ses leçons dans la traduction des œuvres de Reid donnée par M. Jouffroy.

Ces leçons ne portent pas seulement sur les connaissances des sens extérieurs, comme on l’a dit quelquefois, mais sur toute la perception externe, entendue dans l’acception la plus large, c’est-à-dire sur la connaissance de tout ce qui est hors de l’esprit, et par conséquent sur