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voulait aggraver la sévérité de la loi. M. Royer-Collard fit retentir le nom du roi dans toutes les parties de son discours, et se présenta comme plus royaliste que la chambre, pour être plus généreux qu’elle. « Le roi, dit-il dans son discours du 3 janvier 1816[1], a promis l’amnistie à Cambrai; il la propose aujourd’hui. Pour nous, Français, car nous le sommes encore, le pardon royal promis ou proposé, c’est le pardon lui-même, le pardon tout entier. Le roi veut que nous le proclamions avec lui : remercions le roi, et ne contestons pas avec sa bonté, surtout quand elle aide à sa politique et qu’elle en est inséparable. La commission suppose évidemment que les choses sont entières et que l’amnistie du roi n’existe pas encore, puisqu’elle la restreint et l’ajourne. J’ai une autre idée, je l’avoue, et d’une amnistie et d’un roi... S’il est vrai que l’amnistie existe dans sa plénitude, une seule exception ajoutée la viole manifestement et fait rétrograder la clémence du prince. Que d’autres plus hardis l’entreprennent; pour moi, je le déclare, je ne me placerai point entre le roi et les coupables: je n’intercepterai point le pardon royal, je ne lui ferai point rebrousser chemin vers le trône d’où il est descendu. » M. Royer-Collard remporta la victoire; le parti de l’émigration lâcha sa proie, l’amnistie passa sans amendement, et la confiscation ne fut pas rétablie.

Ce fut surtout à propos du rapport de la commission des élections, le 12 février 1816, que M. Royer-Collard se dessina dans cette attitude singulière d’un royaliste feignant de l’être plus que les autres, pour demeurer plus libéral. L’article 37 de la charte ordonnait que la chambre des députés serait renouvelée chaque année par cinquième. La majorité de cette chambre, qui voulait opérer la contre-révolution, craignant d’être entamée par le renouvellement partiel, voulait changer l’article 37 et établir que la chambre serait renouvelée intégralement tous les cinq ans, ce qui prorogeait ses propres pouvoirs pour cinq années. Elle alléguait en sa faveur l’exemple de l’Angleterre et la sincérité de la représentation nationale, qui serait, disait-elle, mieux assurée par un renouvellement intégral. M. Royer-Collard, redoutant l’esprit rétrograde de cette chambre, ne voulait pas qu’elle se perpétuât, et, voyant que le roi maintenait la charte, il se mit à exalter la prérogative royale, à professer la doctrine qu’il n’y avait pas de ressemblance entre le gouvernement de la France et celui de l’Angleterre; que ce dernier était une république aristocratique, maintenue par ce qu’on appelait improprement les abus de l’Angleterre; que si l’on

  1. Les discours de M. Royer-Collard, que nous aurons souvent occasion de citer dans la suite de cette étude, n’ont été recueillis nulle part. Un petit nombre d’amis en possèdent la collection complète. Les passages que nous leur empruntons marquent nettement les diverses phases de la vie politique de M. Royer-Collard, et font voir, à travers les débats de la chambre, un côté intéressant de d’histoire de la restauration.